« L’ÉTAT DOIT ENVOYER UN SIGNAL »
Il faut repenser la société en fonction du vieillissement de la population, dit Jean Charest. Les statistiques le prouvent. La moitié des enfants nés aujourd’hui, dans un pays occidental, vivront 100 ans. Cette situation changera les cycles de vie, de travail et de loisirs. Sans compter que le nombre de personnes âgées est en constante progression. « Nous avons une population vieillissante, constate-t-il. Il y a plus de gens qui partent à la retraite que de gens qui arrivent sur le marché du travail. Et la période de retraite s’allonge. » Il faut donc revoir les façons de faire en fonction de ce phénomène.
Les dangers d’une grave pénurie de main-d’œuvre guettent les entreprises. Et l’immigration, à elle seule, ne pourra pas renverser la tendance. « Il faut absolument que nous puissions trouver une façon de mettre les travailleurs âgés à contribution, dans les conditions qu’ils veulent », dit-il. Le défi des gouvernements est d’adapter leurs structures aux choix que feront les citoyens, sans les pénaliser. Le choc démographique est un des grands vecteurs de changement et on doit en tenir compte dès maintenant dans les politiques publiques, pense M. Charest.
Associé au cabinet d’avocats McCarthy Tétrault, il aborde souvent l’impact du vieillissement des populations lors de ses conférences internationales. Ce sujet, aux enjeux multiples, l’a toujours intéressé. Quand il était premier ministre du Québec, il a d’ailleurs instauré des mesures pour les travailleurs de 55 ans et plus. Et il pense que le sujet doit revenir à l’ordre du jour. « C’est plus urgent qu’on pense », dit-il. Il est temps, à son avis, d’en faire une politique globale. « Le dernier gouvernement s’est concentré sur l’équilibre budgétaire, dit-il. Le nouveau devrait réactiver ce dossier étant donné son importance économique et sociale. »
L’État doit jouer un rôle de leadership important, pense M. Charest. « Il doit envoyer un signal pour éclairer les entreprises et les seconder en termes de fiscalité et d’incitatifs », propose-t-il. Pour l’instant, les entreprises ne sont pas très conscientisées à la question des travailleurs plus âgés. « Les PME ne sont pas réactives, car elles sont totalement absorbées par le travail qu’elles doivent faire chaque jour pour survivre », dit-il. D’où l’importance de les appuyer dans la transition. Une politique globale intégrerait, par exemple, les concepts de retraite progressive, d’horaires flexibles et de crédits d’impôt.
Jean Charest estime que c’est un « beau programme » pour le gouvernement et pour la société québécoise. « C’est le genre de dossier dans lequel les Québécois sont très bons, dit-il. Avec les politiques progressistes pour les familles et pour les femmes, on a fait la preuve qu’on était à l’avant-garde dans le monde. » Ailleurs, dans certains pays, comme l’Allemagne, on commence à mettre en place des mesures pour les travailleurs âgés. « Mais ça se fait à des degrés variables, selon les États, dit-il. Comme laboratoire, le Québec est parmi les plus aptes à poser des gestes pour réussir le virage vers ce nouveau type de société. »
Les coûts d’une telle politique n’ont pas été évalués. « Mais tout ce qu’il est possible de faire pour permettre aux gens de rester actifs, de contribuer et de travailler signifie qu’ils vont payer des impôts et continuer de consommer, dit M. Charest. Ça paraît évident qu’il y a un bénéfice net pour la société comme pour l’État. » De plus, ajoute-t-il, les gens seront en meilleure forme et ils garderont un réseau de contacts qui les stimulera intellectuellement. « Ils seront moins en demande pour les soins de santé et les services sociaux, dit-il. Ils seront plus heureux. Et on vivra dans une société plus productive. »
Selon lui, nous aurons l’occasion, dans les prochaines années, « de prendre cet enjeu-là à bras le corps » et de repenser notre façon de faire. En réorganisant la société pour élargir le spectre des jeunes familles avec enfants jusqu’aux personnes plus âgées, dit-il, nous aurons une société encore plus inclusive. « Si on le fait, les Québécois seront les grands gagnants, ajoute-t-il. On vivra dans une société qui fonctionnera mieux économiquement, qui sera plus rentable et qui, surtout, sera beaucoup plus agréable qu’une société qui fait bêtement des choix en fonction d’un ancien modèle. »
10 MESURES POUR ALLER DE L’AVANT
On doit encourager la retraite progressive. Le temps d’une retraite automatique et programmée à un âge précis est dépassé. Ce n’est plus compatible avec nos vies, ni avec les besoins du marché du travail, ni avec ce que souhaitent les gens. On vit de plus en plus longtemps. On est en meilleure forme. La société doit en tenir compte. Et elle doit évoluer en ce sens.
Le travail à temps partiel est un élément clé. Lorsqu’ils arrivent à un certain âge, plusieurs travailleurs veulent un horaire adapté et flexible. Plutôt que de travailler cinq jours par semaine, on souhaite faire quatre jours. Ou même trois. Pourquoi pas ? Mais dans le système actuel, il n’y a souvent qu’une option : travailler cinq jours ou prendre sa retraite…
Les travailleurs plus âgés seront davantage attirés par un marché du travail qui reconnaît qu’ils ont physiquement plus de besoins, et de limitations, que les plus jeunes. Il faut donc faire un effort pour s’assurer qu’on adapte le milieu de travail sur le plan ergonomique. Cette mesure s’applique pour tous les secteurs, mais peut-être plus dans les milieux industriels.
Le concept de mentorat doit se faire « aller-retour ». Les travailleurs de 55 ans et plus sont en mesure de léguer leur savoir-faire et leur expérience aux plus jeunes. Mais, par ailleurs, ils doivent aussi être assistés et guidés dans les technologies, les innovations et les façons de faire des nouveaux emplois. De cette façon, ils seront en mesure de réussir la transition.
La formation continue est nécessaire pour tout le monde, pendant toute notre vie. Mais il faut faire un effort concerté pour les travailleurs plus âgés. En plus du mentorat, on doit les aider à progresser et à répondre aux besoins du marché. Il peut s’agir d’apprentissage en milieu de travail. Ou des formations réalisées par des professeurs ou des consultants externes.
Les personnes de 65 ans et plus, donc admissibles à la pension, ne doivent pas être pénalisées parce qu’elles occupent un emploi à temps partiel. Le crédit d’impôt actuel pour les travailleurs d’expérience abaisse l’âge d’admissibilité à 64 ans et hausse le revenu admissible à 6000 $. On peut faire mieux. Par ailleurs, il faut bonifier le soutien salarial à l’embauche des travailleurs de 55 ans et plus.
Il faut renforcer les mesures incitatives pour ceux qui décident de reporter l’âge auquel ils accèdent au Régime des rentes du Québec (RRQ). Dans ce cas, plus ils retardent, plus la hausse de revenu, à la retraite, sera importante. L’impact doit être réel et substantiel.
Il ne faut pas craindre de reporter l’âge de la retraite. Le gouvernement Trudeau a pris une mauvaise décision en revenant sur la décision du gouvernement Harper de faire une transition de 65 ans à 67 ans. Tous les indicateurs nous amènent à ce type de changement. Ce n’est peut-être pas populaire, mais, dans les faits, l’adaptation se ferait de façon très graduelle.
Il faut encourager les travailleurs à contribuer à leur régime de retraite. De plus, pour faciliter le transfert du régime d’un employeur à l’autre quand on change d’emploi, il faut un système flexible. La mise en place du Régime volontaire d’épargne-retraite (RVER) est une réponse à cet enjeu. Mais il est possible d’ajouter d’autres mesures.
Cette mesure a un effet plus indirect par rapport aux travailleurs âgés. Mais elle permettrait aux gens de mieux planifier leur retraite. Actuellement, les femmes et les hommes qui s’absentent du marché du travail après la naissance d’un enfant arrêtent de contribuer à leur régime de retraite. Pour les aider, l’État prendrait la relève en contribuant aux régimes.
LIBERTÉ 55, NOUVELLE VERSION
3 FOIS PLUS
En 2020, le Québec comptera 1,7 million de personnes de 65 ans et plus, soit trois fois plus qu’en 1980 (550 000).
3,8 %
La population en âge de travailler au Québec aura diminué de 3,8 % entre 2013 et 2030, comparativement à une hausse de 5,5 % au Canada et de 9,6 % en Ontario.
UNE PREMIÈRE
En 2015, pour la première fois au Canada, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus (5,78 millions) a dépassé celui des enfants âgés de 14 ans et moins (5,75 millions).
G8 : En 2011, selon l’OCDE, le nombre de travailleurs âgés de 55 ans et plus était
de 12,6 % en Russie ; 13,7 % en France ; 14,1 % en Italie ; 17,4 % au Royaume-Uni ; 17,9 % en Allemagne ; 18,7 % au Canada ; 20,7 % aux États-Unis et 27,1 % au Japon.
Source : Statistique Canada