Francine Tremblay s’est lancé tout un défi l’année de ses 50 ans. Hygiéniste dentaire de carrière, elle a décidé de laisser tomber son travail pour recommencer sa vie professionnelle. Déterminée, elle a emprunté de l’argent à sa caisse populaire et s’est inscrite à un cours de technique bureautique dans une école spécialisée. «Comme j’avais 50 ans, je ne voulais pas entreprendre de longues études. Je devais gagner ma vie. J’aimais l’informatique. Ce cours durait un an à temps plein. J’ai plongé.» Motivée comme elle l’était, elle a terminé son cours avec succès. Mais le vrai test a consisté à convaincre un employeur de l’embaucher…
Remettre sa confiance en forme
On a beau répéter que le Québec risque de manquer de main-d’œuvre et que les travailleurs expérimentés sont difficiles à remplacer, il n’en reste pas moins que, devant deux candidats de compétence égale, les employeurs pencheront la plupart du temps pour le plus jeune. «Le recrutement de personnel coûte cher aux entreprises. Elles veulent donc investir dans une personne qui va rester en poste pendant un bon moment. Or, plus un candidat est jeune, plus il a de chances de demeurer longtemps au sein de l’entreprise», explique Grégory Delrue, spécialiste de la recherche de cadres dans le secteur de la comptabilité et de la finance à l’agence Kérosène.
Que faire quand, de gré ou de force, vous êtes obligé de réintégrer le marché du travail? D’abord, «il faut prendre le temps de réfléchir, profiter de cette interruption pour faire le point sur sa carrière et sa vie», suggère Lise Simard, conseillère d’orientation au Centre d’intervention des Basses-Laurentides. Si vous vous précipitez sur le premier poste affiché dans un journal, vous risquez de manquer votre coup. Rendez-vous plutôt au centre local d’emploi de votre région pour consulter la liste des organismes spécialisés en recherche d’emploi.
«Pour réussir à trouver un travail intéressant quand vous avez la cinquantaine, vous devez savoir qui vous êtes, ce que vous valez et ce que vous avez à offrir», précise Lise Simard. Dans les programmes de formation conçus pour les personnes de 50 ans et plus à la recherche d’un emploi, cette experte procède à une «remise en forme» de l’estime de soi. «Nous partons du principe que vous êtes bon et qu’il y a de la place pour vous sur le marché du travail», indique la conseillère. Sans cette confiance en soi, la recherche d’un poste est minée d’avance. «Si le chercheur d’emploi pense que son âge l’empêchera de décrocher un emploi, ce sera effectivement le cas.» Lise Simard sait de quoi elle parle. De 80% à 85% des personnes qui suivent sa formation dénichent généralement du travail. Ses méthodes novatrices et son engagement lui ont mérité, en 2006, le prix professionnel – secteur orientation décerné par l’ordre des conseillers d’orientation et des psychoéducateurs du Québec.
Exploiter le marché caché
«La majorité des gens qui s’inscrivent à notre formation arrivent découragés. Ils croient qu’ils sont finis. C’est qu’ils n’ont pas encore fait leur deuil de l’emploi qu’ils viennent de perdre», indique Lise Simard. Vous devez donc vous prendre en main en commençant par dresser le bilan de vos qualités et défauts. Cette tâche complétée, vous verrez que des qualités, vous pouvez en avoir beaucoup qui plairont aux employeurs! «Par exemple, les personnes de plus de 50 ans ont souvent un très bon français, ce qui est fort utile dans un travail de bureau. En outre, leur taux d’absentéisme est faible, car leurs obligations parentales sont habituellement derrière elles.»
Ensuite, vous devez apprivoiser les bonnes techniques de recherche d’emploi, mettre à jour vos connaissances en informatique et dépoussiérer votre CV. Ce document doit mettre en lumière vos réalisations et votre expérience. Le mot d’ordre: concision. Les spécialistes à qui nous avons parlé ont été clairs : un CV de deux pages suffit à résumer votre vie professionnelle. Les détails, on y viendra durant l’entrevue.
Exploiter le marché caché
Parmi les bonnes techniques à acquérir, il y a l’exploitation du «marché caché». «Saviez-vous que la plupart des postes disponibles ne sont jamais annoncés? Ils se trouvent dans ce marché», dit Lucie Dubé, conseillère à l’Association Midi-Quarante. Cet organisme sans but lucratif de Laval offre des services spécialisés de main-d’œuvre aux personnes ayant atteint ou dépassé la quarantaine.
Le marché caché, c’est là où les postes existants ne sont pas affichés ou pour lesquels le recrutement n’est pas encore commencé. Exemple: «La compagnie ABC agrandira son usine de Chambly. Cet investissement de deux millions de dollars entraînera la création de 10 nouveaux postes, ce qui fera passer l’effectif d’ABC à 90 employés.» De telles annonces ne se trouvent pas dans la section «Carrières et Professions» des grands quotidiens, mais plutôt en entrefilet, dans les journaux spécialisés en affaires ou dans les hebdos régionaux. Voilà une piste à suivre.
«Le marché caché favorise les chercheurs de plus de 50 ans, car ils ne subissent pas la concurrence de dizaines de candidats plus jeunes, souligne Lise Simard. Il permet de choisir les services que l’on souhaite offrir à l’employeur plutôt que de tenter de démontrer que l’on répond aux exigences élaborées dans une annonce.» Les contacts que vous avez développés durant votre carrière font aussi partie de ce marché: clients, fournisseurs et sous-traitants de votre ancien employeur, ainsi que parents et amis. De but en blanc, dites-leur que vous cherchez du travail. N’hésitez pas à leur laisser votre CV et une carte professionnelle. Selon le Centre d’intervention des Basses-Laurentides, plus de 40% des emplois sont trouvés par des candidatures spontanées.
Pour sa part, Francine Tremblay a choisi une autre avenue: les agences de placement. «J’y ai rapidement obtenu du travail. Pour commencer, j’ai choisi des mandats de quelques mois seulement, car je voulais faire le tour des entreprises avant de me fixer.» Son âge et son inexpérience dans ce nouveau domaine lui ont-ils fermé les portes?«Inexpérience? Avant de me réorienter, j’avais déjà fait beaucoup de travail de secrétariat en cabinet dentaire. Je savais comment gérer des horaires et planifier le travail des autres. Ça compte!», lance-t-elle. Bref, non, ça n’a pas été un obstacle. Quant à son âge, un seul interviewer lui a fait sentir que cela pouvait causer une difficulté. Partout ailleurs, pas une remarque à ce sujet.
L’entrevue d’emploi, une étape cruciale
Comme Francine, tous ceux qui ont déjà passé des entrevues d’emploi savent combien cette étape est cruciale. Elle mérite donc une préparation minutieuse. À l’Association Midi-Quarante, des conseillers mènent avec vous des entrevues simulées qui sont filmées. «Le candidat peut s’autoévaluer. De plus, un tel exercice permet de corriger la posture, le timbre de voix et l’enthousiasme», souligne Lucie Dubé.
Bien que ces éléments soient importants pour réussir l’entrevue, c’est ce que vous dites qui est capital. «Il faut rassurer l’employeur. Par exemple, mentionnez que vous êtes prêt à prendre de nouvelles responsabilités et à suivre de nouvelles formations au besoin», recommande Grégory Delrue. Si l’employeur perçoit que vous cherchez un emploi pour terminer votre carrière, vous êtes cuit. Il doit comprendre que vous voulez évoluer et que vous n’avez pas peur du changement. Peur de quoi, au fait? «Les personnes qui ont 50 ans aujourd’hui font partie de la génération qui a vécu le plus de changements au travail, lance Lucie Dubé. Elles sont habituées de s’adapter continuellement.»
Aujourd’hui, Francine Tremblay travaille à titre d’assistante administrative dans un établissement de santé de l’Ouest de Montréal. Son mandat était censé durer huit mois, mais elle y est depuis… trois ans! «J’aime ce travail. En plus, c’est près de chez moi, ce qui est très avantageux.»
Source: Ronald McKenzie, Bel âge, janvier 2024