Bien avant la pandémie de COVID-19, le Québec était déjà frappé par un manque notable de main-d’œuvre. Dans plusieurs secteurs d’activité, le taux de postes vacants, indicateur privilégié pour estimer ce manque, n’a cessé d’augmenter. En juin 2022, les données de Statistique Canada montraient que 271 195 postes étaient vacants dans la province, ce qui représentait un taux de 6,7%. Quelques solutions ont été mises de l’avant, notamment l’immigration et le retour sur le marché du travail des personnes retraitées. C’est cette dernière solution qui nous intéresse et sur laquelle nous nous penchons dans ce billet.
Les Québécoises et les Québécois de 60 ans et plus sont déjà à l’emploi
Au Québec, l’âge cible de la retraite est fixé à 65 ans. Cependant, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), en 2018, 27,1% des nouvelles et nouveaux retraités avaient moins de 60 ans. Bien que pouvant paraître élevé, ce chiffre est en baisse comparativement à il y a 10 ans. En effet, en 2009, la proportion de nouvelles et de nouveaux retraités était de 43,4%. En 2018, dans toutes les catégories d’âge, les Québécoises et les Québécois ont pris leur retraite plus tard qu’ils ne l’ont fait il y a 10 ans. Et cette tendance n’est pas près de s’inverser. Le taux d’emploi des 65 ans et plus était estimé à 10,2% en 2021 et c’est dans la catégorie d’âge des 60 à 64 ans que ce taux était le plus élevé, soit 49,4% comme on peut le voir au graphique ci-dessous.
Travailler plus longtemps, une idée déjà promue depuis une décennie
Le manque de main-d’œuvre n’est pas propre au Québec, mais est un phénomène généralisé au Canada. En effet, le vieillissement de la population pose un enjeu de disponibilité de la main-d’œuvre. Selon Statistique Canada, « le ratio chômage/emplois vacants – un indicateur clé qui sert à comparer le nombre de Canadiens à la recherche d’un emploi au nombre d’emplois disponibles – se situe actuellement à un niveau historiquement bas dans chaque province. En fait, ce ratio est nettement inférieur à ce qu’il était avant le début de la pandémie de COVID-19. »
Au Québec, plusieurs propositions ont été élaborées afin de prolonger la carrière des personnes dites expérimentées. En 2019, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale présentait le Plan d’action pour la main-d’œuvre (PAMO), dont l’objectif était d’« accroître la présence sur le marché du travail de travailleurs de 60 à 69 ans. ». Plusieurs incitatifs ont aussi été mis en place afin de retenir ou de ramener cette catégorie de travailleurs sur le marché du travail.
Le fameux « crédit d’impôt pour prolongation de carrière » élaboré en 2012 pour les personnes de 65 ans et plus, puis étendu aux personnes de 60 à 64 ans en 2019, ne semble toutefois pas avoir les effets escomptés. Une étude réalisée par une équipe de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels (CREEi) a mis en évidence « que le crédit d’impôt pour prolongation de carrière n’a guère permis de hausser le taux d’emploi des personnes de 60 ans et plus davantage que la tendance des dernières années. » En clair, la hausse du nombre de travailleuses et de travailleurs dans les catégories visées n’est pas attribuable à cet incitatif.
Plus récemment, le maintien ou le retour sur le marché du travail des personnes dites expérimentées a été présenté par les partis en lice dans la course électorale, comme l’une des solutions au manque de main-d’œuvre actuel. Pour ne citer que quelques propositions, le Parti Québécois (PQ) viserait le retour de « 150 000 travailleurs expérimentés » d’ici 2030 en offrant divers incitatifs. Le Parti libéral du Québec (PLQ) propose d’investir « $500 millions pour inciter les aînés à retourner travailler et combler ainsi les besoins de main-d’œuvre. ».
Le manque de main-d’œuvre, une opportunité de repenser le marché du travail?
Certes, il est impératif de trouver des solutions au manque actuel de main-d’œuvre. Et, dans l’immédiat, mobiliser toutes les forces en présence semble être la solution facile et faisable. Certains pourraient même être tentés de réouvrir le débat sur l’âge de la retraite. Pour les personnes de 60 ans et plus qui souhaiteraient retourner sur le marché du travail, il apparaît important de faciliter ce retour en repensant les incitatifs actuels, en en offrant de nouveaux, en adaptant les conditions de travail et en combattant l’âgisme que subissent encore plusieurs travailleuses et travailleurs expérimentés.
Mais si au Québec, certaines personnes qui ont pris leur retraite sont contraintes de retourner sur le marché du travail ou si certaines personnes continuent de travailler après 65 ans, il convient comme société de se questionner sur les raisons qui expliquent une telle situation. Normaliser le retour des personnes retraitées sur le marché du travail, c’est omettre le fait que pour plusieurs, ce retour ne se fait pas de gaieté de cœur. C’est aussi omettre de réfléchir à la question de la dignité et du travail décent.
Plutôt que de voir le manque de main-d’œuvre comme un moyen de faire encore plus pression sur les travailleuses et travailleurs expérimentés de sorte qu’ils retournent sur le marché du travail, il serait peut-être opportun d’y voir une occasion de repenser la structure du marché du travail et les conditions de travail actuelles. Par ailleurs, il est peut-être temps d’avoir une réelle conversation sur l’importance qui est collectivement accordée au travail rémunéré dans notre société.
Source: Iris, Milène Lokrou, 27 septembre 2022