Plus d’un camionneur sur quatre au pays étaient âgés de 55 à 64 ans l’an dernier, selon RH Camionnage Canada
«Si tu pars en bougonnant, t’es mieux de ne pas partir, et de rester chez toi», pousse l’homme, qui a déjà attiré l’attention de médias de l’industrie comme Truck Stop Québec et Transport Routier.
Alors que le secteur croule sous le poids de la pénurie de main-d’oeuvre, Réjean monte chaque semaine dans son camion pour aller parcourir près de 1400 kilomètres du Québec aux Maritimes. Pour lui, c’est une façon de vivre.
«Je n’ai jamais eu le temps de m’ennuyer. J’ai toujours travaillé de 15 à 18 heures par jour», se rappelle-t-il.
Durant la pandémie, il s’est mis aux blocs Lego, mais dès qu’il a pu reprendre la route sans trop de contraintes, il s’est empressé de le faire.
«Je connais les États-Unis par cœur. J’ai longtemps été en Californie sur une base régulière. Je montais en meubles et je revenais avec des fruits», se souvient-il.
«Je prends ça comme un jeu. Je suis fier de partir et de revenir», résume-t-il.
Tous les ans, Réjean passe son examen médical pour les oreilles et les yeux au mois d’août pour pouvoir prendre le volant.
«Pas de restrictions d’âges»
À la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), on rappelle «qu’il n’y a pas de restrictions d’âges pour le Règlement relatif à la santé des conducteurs, et aux politiques de la Société».
«C’est vraiment son état de santé qui détermine s’il peut conserver sa classe professionnelle», explique son porte-parole Gino Desrosiers.
À peine 14 conducteurs de véhicules lourds âgés de 75 ans à 84 ans ont été impliqués dans des accidents avec dommages corporels en 2021, comparativement à 101 pour les 20 ans à 24 ans, révèlent des données de la SAAQ extraites pour Le Journal.
Cela, même si les 75 ans à 84 ans (5 252) étaient presque deux fois plus nombreux à détenir un pemis de conduire de camion de classe 1 que les 20 ans à 24 ans (2 837).
«Un doyen»
Pour le patron de Réjean, Sylvain Lévesque, président de Transport Saint-Hyacinthe, l’homme de 84 ans n’est rien de moins qu’«un doyen». Même s’il n’a pas la force des jeunes chauffeurs dans la fleur de l’âge, ses compétences valent leur pesant d’or.
«Pour conduire, prendre une remorque, d’un point A à un point B. Il est excellent. Il est vigilant», souligne-t-il.
20% de conducteurs âgés
Croisé au salon du camionnage EXPOCAM, à deux pas de là, Saint-Hyacinthe, Jean-Pierre Desormeaux, 75 ans, avait lui aussi des bons mots pour ce métier qui l’habite, et ne l’a jamais quitté depuis.
«Je continue à conduire des camions trois quatre heures par jour comme livreur de légumes», partage-t-il.
«Être chauffeur de camion, c’est une autre vie. On a la vie de marié, la vie de célibataire et la vie de chauffeur de camion», image-t-il.
À 125 kilomètres de là, au Groupe Somavrac, à Trois-Rivières, sa conseillère en acquisition de talents, Rosalie Samson, voit de plus en plus de travailleurs plus âgés passer à son bureau, ce qui augure bien pour l’industrie en panne de relève.
Plus d’incitatifs financiers
Chez Trimac Transportation, Sébastien Sasseville, directeur de terminal pour l’entreprise de 150 camions au Québec, plus de 10% ont plus de 65 ans.
«On a besoin de ces gens-là pour leur expérience», estime celui qui voit le phénomène d’un bon oeil.
D’après Julien Paré, qui enseigne le transport par camion, le métier de camionneur parvient maintenant à séduire de nouveaux profils.
«Je me souviens de travailleurs de l’usine d’Electrolux qui avaient perdu leur gagne-pain. Certains de 69 ans ou de 78 ans ont trouvé un emploi dans le camionnage», souffle celui qui est aujourd’hui superviseur d’une entreprise dans l’alimentaire.
Mais pour Marc Cadieux, PDG de l’Association des camionneurs du Québec (ACQ), les gouvernements auraient avantage à ajouter des incitatifs financiers pour les garder.
«Parfois, deux ou trois jours par semaine, dans des métiers connexes, comme répartiteur, cela peut faire la différence», conclut-il.
– Avec la collaboration de Nicolas Brasseur
Source: Francis Halin, Le journal de montréal, mai 2023