Sans surprise, des épargnants, dont les revenus ont été affectés par le confinement et l’arrêt de l’économie, sont obligés de retarder leur retraite. Mais en parallèle, une autre tendance émerge: certains décident de la devancer.
Plusieurs coups de sonde mettent en lumière l’effet de la pandémie sur les retraites des Canadiens. Un sondage commandé par IG Gestion de patrimoine soulignait que près de la moitié de la population (46 %) doutait d’avoir assez d’argent pour ses vieux jours et le tiers songeait à retarder son départ de la vie active.
Une étude de la Banque Royale allait dans le même sens, montrant qu’un cinquième des Canadiens avaient dû repousser leurs plans de retraite ou que les retraités devaient vivre plus modestement qu’initialement prévu.
De fait, selon un sondage mené pour l’Institut canadien des actuaires (ICA), 36 % des personnes interrogées rapportaient que leur revenu de ménage avait été grignoté par la pandémie et une sur quatre déclarait s’être endettée pour cette raison. Mais à l’inverse de cette tendance, certains décident de devancer leur retraite.
« J’ai vu quelques cas où il y a comme un ras-le-bol et les gens jettent la serviette », raconte André Buteau, planificateur financier et assureur-vie agréé à la Financière Liberté 55. Cette tendance est d’ailleurs constatée par plusieurs conseillers. Martin Dupras, président de ConFor financiers, témoigne que plusieurs clients demandent de refaire les calculs en considérant un âge de retraite plus bas que prévu.
« La COVID et le confinement ont amené un paquet d’interrogations. On ne sait pas de quoi la situation aura l’air dans quelques années, renchérit Sylvain B. Tremblay, vice-président à Optimum Gestion de placements. Cette pandémie et ses effets collatéraux ont incité les gens à envisager une retraite anticipée, notamment à cause de la générosité des marchés. »
DES RAISONS MULTIPLES
D’autres facteurs peuvent expliquer cette tendance émergente. « C’est davantage un choix personnel ou parce qu’ils se sont fait mettre car l’employeur a moins de ressources et il peut s’agir alors de retraites forcées », nuance David Truong, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.
D’autres départs seraient dus au stress de l’environnement de travail ou aux exigences supplémentaires liées à la COVID-19, selon André Buteau. Martin Dupras propose lui aussi comme moteur le retour physique sur les lieux de travail, qui cause beaucoup d’anxiété.
Toutefois, l’important est de ne pas quitter pour les mauvaises raisons. « La pandémie, le travail à distance et le retour, c’est sûr que ce sont des éléments qui vont compter dans le processus décisionnel, mais on ne part pas strictement pour ça. Il faut le faire pour des raisons plus générales et larges, par exemple parce qu’on est prêt, parce qu’on a les moyens, etc. Ultimement, il ne faut pas prendre cette décision sur un coup de tête », conseille Martin Dupras.
Effectivement, il ne s’agit pas d’un choix à faire à la légère, car beaucoup de variables entrent en jeu.
LES VARIABLES À CONSIDÉRER
« Si ta retraite était dans deux ans et que tu la prends maintenant, tu subiras sûrement moins de répercussions que celui qui devait la prendre dans dix ans, mais il y a beaucoup de choses à regarder. Plus il y a d’années de différence entre le plan initial et le moment où on choisit finalement de l’exécuter, plus il faut voir si ça tient la route », expose David Truong.
« Ceux qui songent à la prendre un peu plus tôt, peut-être de quatre ou cinq ans, sont en train d’évaluer s’ils ont la flexibilité de le faire. Ça demande des calculs pour dresser des projections et hypothèses », ajoute André Buteau.
Un des facteurs à aborder, c’est le risque de longévité. « Les gens estiment que si l’espérance de vie est de 80 ans et quelque, ils vont mourir autour de cet âge. Mais ça veut juste dire que la moitié des gens ne se rendront pas à cet âge et que l’autre moitié vont le dépasser ! », prévient André Buteau.
Les normes d’hypothèses de l’IQPF sont utiles pour réaligner les perspectives de longévité. « La recommandation, c’est de planifier pour que la personne se rende au moins à l’âge qui correspond à 25 % de ses probabilités de survie. Pour quelqu’un qui est en forme à 55-60 ans, ses probabilités sont de vivre au moins jusqu’à 92-94 », éclaircit le professionnel.
La fiscalité doit davantage être considérée comme un « sous-produit » de la retraite, selon David Truong. « C’est du cas par cas, mais ce qui est certain, c’est qu’on ne prend pas sa retraite plus vite parce qu’on a de meilleurs traitements fiscaux. Après, c’est sûr qu’il y a les crédits d’impôt pour les retraités, mais c’est très marginal. La fiscalité n’est pas l’élément déclencheur pour prendre la retraite. »
Sans compter que la fiscalité change très fréquemment. Il est donc difficile de la planifier très à l’avance. « Tes économies, tu les as, la fiscalité, c’est gouvernemental », résume le conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.
Un élément important du volet fiscal est le Régime de rentes du Québec (RRQ). Celui-ci offre une protection financière de base lors de la retraite. Le montant de la rente varie selon le mois où le paiement de la rente débute. Cette dernière est augmentée de 0,7 % pour chaque mois écoulé depuis le 65e anniversaire du contribuable, jusqu’à un maximum de 42 % à 70 ans. Il peut donc être très profitable de la retarder.
« Le report, c’est l’idéal, mais il y a encore beaucoup de facteurs à considérer: l’état de santé de la personne, du conjoint et sa situation financière. Si l’espérance de vie est courte, ça ne sert à rien d’attendre », explique André Buteau.
« Le portefeuille, techniquement, va avoir une fin, pas le RRQ. Mais les gens sont réticents à retarder leur accès à cette rente », note Sylvain B. Tremblay. Et cela serait d’autant plus vrai chez ceux qui décident de devancer leur retraite.
« Peu importe l’état de richesse des gens, ils la veulent. Plusieurs se disent qu’il est toujours possible qu’un gouvernement élu veuille l’enlever. C’est très peu probable, mais c’est sûr qu’on ne sait jamais », ajoute-t-il.
Pour aider ses clients qui pourraient en être bénéficiaires à retarder leur demande de rente de retraite du RRQ, Martin Dupras leur suggère d’abord de simplement le reporter d’un an, ce qui bonifie la rente de 8,4 %. Cela permet à ses clients de mieux comprendre les incidences de ce report et de voir les choses à plus court terme.
UNE ÉTAPE COMPLEXE DE LA VIE
Une autre variable essentielle à considérer est la stratégie de décaissement et, en parallèle, les dépenses discrétionnaires. Évidemment, plus ces dernières sont élevées, plus cela risque d’influencer le niveau de vie à la retraite.
André Buteau se rappelle ainsi une cliente qui voulait prendre sa retraite à 55 ans, car elle en avait assez de son travail. Celle-ci avait donc soumis un budget rachitique pour être sûre de pouvoir concrétiser son projet. Le conseiller a toutefois gonflé les chiffres pour faire ses prévisions. « J’étais conscient qu’elle avait sous-estimé ses dépenses », explique-t-il.
« Les clients doivent garder à l’esprit que ce qu’ils acceptent, ça sera pour toute leur retraite, à moins qu’ils ne décident par la suite de prendre un emploi à temps partiel ou de revenir sur le marché du travail », rappelle David Truong.
Il faut aussi être conscient que la retraite est une étape complexe dans la vie. Émotivement et psychologiquement, elle a des répercussions, il est donc important de planifier ce qu’on compte faire après être sorti de la vie active, dit Sylvain B. Tremblay.
Que faire de notre quotidien à la retraite ? Il s’agit d’une question importante, qu’il faut poser aux clients pour s’assurer qu’ils sont prêts véritablement à la prendre. Sans compter que c’est là que les dépenses discrétionnaires vont se faire, rappelle André Buteau, donnant l’exemple de ceux qui désirent voyager ou jouer au golf plus souvent.
« La retraite, à la base, provoque un paquet de remises en question », avance Martin Dupras. Cela implique également beaucoup plus d’heures avec sa douce moitié. « La retraite, en général, va au moins doubler le temps en face à face qu’on a avec son conjoint », souligne l’expert de la retraite. Toutefois, il fait remarquer que la pandémie a permis de passer davantage de moments en famille, donnant ainsi un bon aperçu de cette étape de la vie.
NIVEAU DE RISQUE ET INFLATION
La pandémie a en outre permis à de nombreux clients de prendre conscience de leur véritable tolérance au risque, un autre facteur qui affecte la retraite. Le niveau de risque a changé pour plusieurs, et ce, probablement à la baisse.
« Si la crise boursière a eu une incidence importante sur la retraite d’un client, ce dernier était certainement investi trop audacieusement par rapport à sa véritable tolérance au risque », observe Martin Dupra.
Certains, au contraire, pensent pouvoir prendre plus de risques, entraînés par l’euphorie due au rebond des marchés. André Buteau conseille la prudence avec ces clients qui ont oublié que les marchés pouvaient de nouveau baisser. Il recommande d’avoir de bonnes discussions avec eux.
Le profil de risque du client est un outil important pour la planification de la retraite. Si ce dernier a un profil prudent, ses hypothèses devraient être construites en conséquence et il devra épargner davantage pour que ses épargnes durent dans le temps. Ces clients risquent ainsi d’avoir plus de mal à devancer leur retraite. « Si la personne a un profil très prudent, le temps n’est pas venu de changer le profil pour que ça passe. Des fois, les gens sont prêts à prendre plus de risques, mais ça peut avoir des conséquences », prévient-il.
L’autre aspect qu’il faut garder à l’oïl, c’est le risque d’inflation. De ce côté, on voit un peu d’incertitude et, si les gouvernements n’agissent pas adéquatement en matière économique, il y a fort à parier qu’il y aura une hausse de l’inflation, ce qui grugerait les rendements des retraités, commente-t-il.
LE TEMPS DES REMBOURSEMENTS
Alors que les libéraux ont été reportés au pouvoir et que leurs promesses semblent toutes être positives à l’égard des retraités, une inquiétude généralisée plane en raison du haut niveau d’endettement du gouvernement. Un sondage d’ÉducÉpargne dévoilait ainsi que près de la moitié des Canadiens (47 %) craignent que cela ait des conséquences négatives sur leur situation financière à la retraite.
Cette inquiétude se retrouve chez les professionnels de la finance. « Ce qui est clair, c’est qu’au fédéral, en matière budgétaire, de nouvelles mesures devront voir le jour, estime ainsi Martin Dupras. Je ne sais pas ce qui s’en vient, mais ce qui est vigueur actuellement n’est pas viable à long terme. »
« Il est certain que les factures vont arriver de ce côté-là. Il va falloir qu’il y ait des entrées d’argent », l’appuie André Buteau. Pour le moment, aucune annonce importante n’a été faite en ce sens, mais les deux professionnels conseillent de surveiller ce qui s’en vient de la part des gouvernements.
La pandémie pousse nombre de Canadiens à revoir leurs plans.
Source: Conseiller.ca par Alizée Calza, 22 novembre 2021