La fin du dodo-boulot-dodo

Soupirez-vous déjà ? Normal. Depuis les six derniers mois, les sondages ne mentent pas. Étude après étude, les télétravailleurs (qui représentent, depuis la pandémie, environ 32 % de tous les travailleurs, selon Statistique Canada) se montrent plutôt mitigés quant à ce fameux retour anticipé (aussi hybride et progressif soit-il).

Les causes sont variées : qu’il s’agisse d’une crainte du virus, ou simplement les joies de la conciliation famille-travail, ou le bonheur de gérer son temps (et ses déplacements !), en général, beaucoup ne retournent pas qu’en chantant à l’usine ces jours-ci.

Soyons francs : depuis deux ans, pour beaucoup, le travail, s’il est certes devenu virtuel et un brin désincarné, s’est accompagné d’une bienheureuse souplesse. Que celui qui n’a pas parti quelques brassées de lavage entre deux réunions Zoom lance la première chaussette (sale). D’où certains grincements de dents, qui ne surprendront aucun chercheur ici interrogé. L’homme est un animal d’habitudes, faut-il le rappeler. Or, après s’être « habitué » à télétravailler il y a deux ans, et plutôt accommodé de la chose (pour nombreux. mais pas tous), voilà qu’il faudrait maintenant désapprendre ces belles habitudes (et larguer nos pantoufles au passage) ? Et puis quoi encore, un bouchon sur le pont ? Pourquoi tant de haine ?

L’entrepreneur Nicolas Duvernois, qui a publié à point nommé son Réussir son télétravail la première année de la pandémie, en convient : « Le choc du retour sera pour certains tout aussi percutant que le choc du départ. » Mais avant de crier au loup et à la perte de temps anticipée, un peu de sincérité, plaide-t-il. Personne, lui « le premier », n’a travaillé des journées de sept, huit ou neuf heures (ou plus) sans relâche ni pause (pipi, épicerie ou match de soccer du petit), dans les deux dernières années.

On a tous profité de cette liberté-là pour réarranger notre calendrier.

Ce temps soi-disant « perdu » autour de la photocopieuse ou à attendre le métro a donc plutôt été « déplacé », disons, à la brassée de lavage, pour poursuivre avec cet exemple évidemment purement fictif.

Nous ne sommes pas des robots

Et même si vous passez effectivement de nombreuses précieuses minutes à jaser avec vos collègues enfin retrouvés lundi matin (en plus de chercher chaise, clavier et autre matériel mystérieusement disparu), est-ce forcément du temps « perdu » ? « Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la communication entre les équipes, poursuit le président de Duvernois Esprits créatifs. L’esprit d’équipe, c’est extrêmement important pour toutes les entreprises. C’est l’ADN des entreprises. »

Et tout cela fait partie d’un « environnement sain », ajoute-t-il. Qu’on se le dise : oui, il est plus « sain » de raconter son week-end en dînant avec vos collègues (et, ce faisant, vous « libérer l’esprit ») que d’engouffrer votre sandwich, seul, et encore seul, devant votre ordi.

C’est sain que le travail physique nous oblige à ne pas être des robots devant nos ordinateurs. L’être humain est une bibitte de communication !

Une « bibitte », disons, un brin brimée par toutes ces rencontres Zoom des 24 derniers mois. Parlez-en à ceux qui ont essayé de faire des séances de remue-méninges. Avec l’isolement et la fameuse petite main levée, la créativité et la spontanéité en ont pris pour leur rhume. « Comment veux-tu avoir l’idée du siècle quand tu n’as pas vu un chat ? », s’interroge Nicolas Duvernois, qui compare ici le remue-méninges virtuel à une partie de basket « avec les bras dans le dos ».

Retrouver l’art de la discussion de couloir

N’empêche : ce retour en « présentiel », aussi « sain » soit-il, ne sera pas forcément fluide non plus. Les premiers temps nécessiteront un certain ajustement. Arnaud Granata, président d’Infopresse, l’a constaté lors d’un retour avorté au bureau l’automne dernier. « Interagir avec les collègues, on n’était plus habitués ! Au début, on avait l’impression de ne pas être efficaces. On était juste en train de se parler ! »

Aurions-nous perdu l’art de la conversation (de couloir) ? Possible. Si, en télétravail, les conversations sont axées principalement sur la « tâche » (« on se parle pour une raison, on est efficace »), explique-t-il, « là, il faut réapprendre à être dans la discussion et la créativité. […] II faut réapprendre à être dans ces moments d’échange et accepter d’être moins dans la productivité ».

Parce que non, l’humain ne peut pas faire de la communication « efficace » 100 % du temps. « On ne peut pas croiser des gens et ne parler que de grandes questions fondamentales », confirme le professeur de philosophie à la retraite René Bolduc, auteur du livre Travail et temps, à paraître prochainement chez Poètes de brousse. Exemple ? « C’est quoi, Dieu, pour toi ? illustre-t-il. Non ! On prend ça relaxe un peu ! Wo ! […] Le bavardage, cela fait partie d’un mode d’existence du quotidien. »

Et le bonheur, dans tout ça ?

Et si c’était dans ce retour en chair, en os et en présentiel, avec tous les contacts humains que cela implique, que résidait en prime un ingrédient essentiel à notre bonheur ? C’est précisément ce qu’avance le conférencier, animateur et auteur Pierre Côté, à qui l’on doit l’indice relatif du bonheur (IBL, indice de bonheur Léger), et qui vient de publier un ouvrage sur le sujet intitulé Souriez, vous êtes au travail. « J’ai toujours affirmé qu’un travail, c’est bien plus qu’un salaire que l’on gagne », écrit-il dans un chapitre consacré à l’importance cruciale du « climat ». « C’est surtout un milieu où l’on vit. »

En entrevue, l’auteur et expert du bonheur en remet.

Le télétravail, c’est fantastique, incroyable, dit-il, mais c’est insuffisant. Les gens ont besoin d’être en contact. C’est fondamental ! […] Le bonheur vient des personnes avec qui on est en contact tous les jours, […] c’est essentiel !

Pierre Côté

Parce que l’humain, l’a-t-on peut-être oublié, à coup de confinements répétés, est un être « grégaire », dit-il. Et toutes ces petites « pertes de temps », pardon, tout ce qui relève de l’« informel » dans l’ascenseur ou autour de l’imprimante, du photocopieur ou de la machine à café, « cela fait partie de la vie » ! « Le sentiment d’appartenance et l’engagement par rapport à l’employeur, il est là ! […] Partout, on parle de l’importance de se retrouver, au théâtre, au resto, dans les gyms… mais au travail aussi ! »

LES TÉLÉTRAVAILLEURS ET LE RETOUR AU BUREAU

88 % ont aimé travailler de la maison ; 58 % s’ennuient de leurs collègues ; 44 % souhaitent revenir en présentiel régulièrement en 2022 ; 56 % ne le souhaitent pas.

Source : Ipsos, 26 décembre 2021

Ceci n’est pas une perte de temps

Du temps passé dans le métro aux échanges de ragots entre voisins de bureau, trois situations revues et corrigées.

Source : Ipsos, 26 décembre 2021

Les transports à la loupe

Ah ! la grande question que le temps passé dans les transports, précieusement évités depuis les deux dernières années par les télétravailleurs confinés. Eh bien non, figurez-vous, ce n’est pas du temps perdu, fait valoir Nicolas Chevrier, psychologue du travail et des organisations. « Ce qu’on appelle le commuting, explique-t-il, on s’est rendu compte que c’était un moment tampon en gestion de stress, qui permet de transitionner entre nos différents rôles. » Même si vous êtes bloqué sur le pont, cela vous permet de tranquillement (!) passer de votre rôle de travailleur à celui de conjoint, parent, copain, une transition qu’on a perdue en transférant purement du salon à la cuisine, disons, explique le psychologue, qui voit d’un très bon œil ce retour en présentiel. « L’homme est un animal social, on a besoin de relations avec les autres », rappelle-t-il, citant une vieille et néanmoins probante étude selon laquelle les risques pour la santé de ne pas avoir de contacts sociaux équivaudraient à « fumer 15 cigarettes par jour » ! « Il y a deux ans, on a été coupés de ces relations, donc ce retour devient quelque chose d’extrêmement important. »

Ceci n’est pas qu’une pause-café

Tous les experts interrogés le confirment : ces petits échanges « informels » entre collègues, à jaser de la pluie, du beau temps et de la dernière mise à jour informatique (ou d’une idée de reportage, d’un projet, d’un souci mathématique, peut-être ?), sont loin d’être « improductifs ». Qualifiés de « travail mou » dans un article récent de The Atlantic (« Hard work isn’t the point of the office »), ces partages d’information seraient même essentiels au bon roulement d’une organisation (en matière de résolution de problèmes et de créativité, entre autres).

Pensez-y, illustre Nicolas Chevrier : « Les rencontres Zoom durent parfois une heure, pour quelque chose qu’on aurait pu régler en 10 minutes autour d’un café… »

Ceci est une pause-café (et c’est très bien comme ça)

Et même si, effectivement, on doit s’absenter quelques minutes pour aller au café du coin (quand, hier encore, il suffisait de se rendre en deux foulées à la cuisine), ce n’est pas là du temps perdu non plus. Au contraire. « La motivation s’essouffle si un individu ne prend pas du temps pour décrocher », rappelle Stéphanie Austin, professeure en gestion des ressources humaines, spécialisée en comportement organisationnel, à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Aussi, dit-elle, mieux vaut franchement décrocher quelques minutes ici ou là (pour sortir marcher en sifflant, ou jouer à Solitaire, chacun son truc, aucun jugement) pour ensuite se replonger, ressourcé, dans son boulot. « Plus on se détache de façon efficace, résume la chercheuse, plus on va être capable de remplir ses batteries […] et plus il sera facile de se réengager envers son travail. »

Le point sur la productivité

Certes, d’après les données de Statistique Canada, 90 % des télétravailleurs se sont dits « au moins aussi productifs » à la maison qu’au bureau. C’est un fait, et tout le monde l’a dit : la productivité n’a pas diminué dans les deux dernières années. Mais une telle situation serait-elle tenable à long terme ? « Les chercheurs sont mitigés, et pour de nombreuses raisons », avance Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. « Deux ans, ce n’est pas long pour le cerveau, rien ne permet de croire que dans 14 ans, la performance serait encore élevée. » Question d’« attention fragmentée », croit-elle. « On a l’impression qu’on a des interférences au travail, mais on en a encore plus à la maison, parce qu’“on peut” », illustre-t-elle. On peut : faire la lessive, se couper les ongles, nourrir le chat, etc. « On est de très grands générateurs d’interférences, résume-t-elle, et plus on pense qu’on a du temps, plus on fragmente notre attention. » Bref : on est ici moins productif, à terme. Alors qu’au bureau, c’est inévitable : il finit toujours par y avoir une fin de journée… et des 5 à 7, mais c’est un tout autre sujet !)

Source: La Presse par Silvia Galipeau, publiée le 28 février 2022

2 commentaire

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Julie

Merci pour vos commentaires. L’équipe Emploiretraite.ca

Yves

Le télétravail a allongé mon temps du travail! Ça m’a permis de travailler plus longtemps au lieu de prendre m’a retraite prématurément! Nous avons tous une histoire, la mienne qui me rend heureux de travailler à la maison; pas de bouchon, l’essence qui a augmenté d’une facon faramineuse, j’ai le diabète certains matins sont plus faciles à la maison. Je ne suis pas dérangé par d’autres employés. Voilà un résumé positif pour le télétravail !