Avez-vous déjà vécu de l’âgisme ?

Article tiré du journal Le Devoir

Dans le discours ambiant, les travailleurs qui approchent de la retraite sont présentés comme une ressource essentielle pour répondre à la pénurie de main-d’œuvre actuelle. La réalité est cependant différente sur le terrain : plusieurs Québécois de 55 ans et plus aimeraient contribuer au marché du travail en mettant leurs compétences à profit, mais ils se heurtent à des portes closes lorsqu’ils se mettent à la recherche d’un emploi.

À 61 ans, Hélène Barnard ne compte pas arrêter de travailler de sitôt. Avec ses nombreuses années d’expérience dans le domaine des communications et du marketing, elle estime qu’elle peut encore rendre de fiers services à une entreprise qui lui donnerait sa chance. Mais cette entreprise, elle ne l’a pas encore trouvée.

« Ce qu’on entend, ce qu’on lit, ce n’est pas la réalité. Les employeurs ne veulent plus de nous. C’est ce que je ressens », affirme cette femme aux yeux clairs et au regard vif.

Au cours de sa carrière, Mme Barnard a notamment travaillé chez Bombardier Produits récréatifs avant de faire le saut au Centre local de développement (CLD) de la MRC de Bellechasse, près de Québec. Puis, en 2015, elle a fait les frais de l’abolition des CLD de la province par le gouvernement Couillard : à 58 ans, elle a pris la direction de Sherbrooke et elle s’est mise à chercher du travail.

« Si je n’ai pas envoyé une soixantaine de CV, je n’en ai pas envoyé un. J’ai eu des entrevues, les gens trouvaient mon CV fort intéressant, mais on ne donnait pas suite », se rappelle-t-elle.

Après avoir reçu un diagnostic de cancer qui l’a obligée à prendre une pause et a fait fondre une partie de ses économies, elle a finalement obtenu un contrat comme travailleuse autonome. Mais elle a rapidement réalisé qu’elle souhaitait travailler à temps plein, en équipe. Ont suivi les mêmes recherches et les mêmes constats.

« Je ne demande pas 60 000 $ par année, ce que je faisais au CLD. Je veux juste une job, je veux être bien, je veux pouvoir gâter ma fille et ma petite-fille, c’est tout. Je ne demande pas la Terre, je demande un emploi », lance-t-elle.

« Un fait »

Des histoires comme celle d’Hélène Barnard, Julie Dufresne en entend plusieurs. « Ce n’est pas une généralité, mais c’est un fait », résume la fondatrice d’Emploiretraite.ca, un site qu’elle a lancé il y a deux ans pour mettre en relation les retraités ou les travailleurs de 50 ans et plus et les employeurs désireux de les embaucher.

« Si Emploiretraite.ca fonctionne, c’est en partie parce qu’il y a une problématique et qu’il y a peut-être un peu d’âgisme au Québec », dit-elle. Sur la plateforme, environ la moitié des quelque 35 000 candidats cherchent un emploi à temps plein.

La jeune entrepreneure reconnaît que les employeurs ne peuvent pas combler tous leurs besoins avec une main-d’œuvre expérimentée, mais elle croit qu’ils gagneraient à « ouvrir leurs horizons » et « à découvrir le pouvoir intergénérationnel ».

« Il y a des gens de chez nous, qui connaissent la langue, la culture, qui ne coûtent pas cher du point de vue administratif, qui ont une belle expérience de vie et qui veulent travailler. C’est à considérer. »

Derrière les statistiques

Il est difficile de savoir combien de Québécois plus âgés n’arrivent pas à trouver un emploi dans leur domaine. Les statistiques officielles montrent qu’à l’instar d’autres tranches de la population, le taux d’activité des 55 ans et plus augmente, tandis que leur taux de chômage diminue.

Le portrait se précise cependant lorsqu’on regarde du côté de la qualité des emplois occupés, puisque les 55 ans et plus sont plus nombreux que les autres groupes d’âge à occuper un emploi de faible qualité, et moins nombreux à avoir un poste de qualité élevée.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, un emploi de qualité élevée est stable, à qualification élevée, payé 15 $ l’heure ou plus, à temps plein ou à temps partiel volontaire.

« Les 55 ans et plus sont de moins en moins nombreux à travailler de manière temporaire, il y en a moins qui travaillent à temps partiel, donc sur ces dimensions-là, le contexte économique semble leur être favorable, nuance la directrice de l’Institut du Québec, Mia Homsy.

« Cela dit, on peut probablement faire mieux […] Je reçois beaucoup de témoignages de personnes de 60 ans et plus qui veulent travailler, mais qui disent qu’il n’y a pas de place pour elles sur le marché du travail. »

Adaptation en cours

La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, Manon Poirier, admet qu’il est possible que certains employeurs manquent d’ouverture, mais elle assure que la situation a changé au cours des deux dernières années en raison du vieillissement de la population et du taux de chômage très bas.

« Ça a beaucoup évolué parce qu’on se retrouve dans une situation où on doit revoir nos pratiques, revoir les biais qu’on peut avoir par rapport à certains bassins de travailleurs, qu’il s’agisse de minorités culturelles ou de travailleurs expérimentés. »

Pour faire une place aux plus âgés, les employeurs doivent souvent se montrer flexibles, fait-elle remarquer, en accommodant par exemple un travailleur qui veut faire moins d’heures ou avoir un horaire atypique.

« Je pense que l’adaptation de la mentalité des employeurs prend du temps à se faire, note Mme Homsy, mais l’ajustement est en train de se faire. »

Au fil du temps, les cas semblables à celui d’Hélène Barnard devraient donc être de plus en plus rares. Cette dernière pourrait d’ailleurs voir les choses différemment sous peu : elle a une entrevue d’embauche prévue jeudi et elle sent que cette fois, ce pourrait être la bonne.

crédit – Karl Rettino-Parazelli du journal Le Devoir

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