Il faut croire que si nos ancêtres se sont échinés à défricher et à bâtir pour construire le pays, les générations récentes sont plus douillettes.
Le Québec retraité en mène large. C’est troublant d’entendre des quinquagénaires parler avec enthousiasme et pas mal d’impatience de leur retraite prochaine.
Les jeunes, eux, à peine sortis de leur cégep et avant même d’entrer sur le marché du travail, se mettent en congé sabbatique. Normalement, cette expression se rattache avant tout à des professeurs d’université qui prennent le congé de l’enseignement afin de se consacrer à la recherche dans leur domaine de spécialisation.
Le manque alarmant de travailleurs aujourd’hui, que met en lumière la pandémie, plonge le Québec dans une situation périlleuse. Cela n’est certainement pas étranger au fait qu’à 55 ans, un bon nombre de gens, en pleine possession de leur expertise professionnelle, rêvent de fréquenter des terrains de golf ou de décrocher pour s’adonner à d’autres activités ludiques.
Précisons que ces retraités précoces appartiennent avant tout à la fonction publique et parapublique. Ce sont des fonctionnaires, des enseignants, du personnel de la santé, des policiers et des pompiers, qui ont l’avantage d’appartenir à des syndicats puissants.
Témoignage
Cette semaine, à la radio, j’ai entendu Bernard Drainville interviewer l’époustouflante Jeannette Bertrand, 96 ans, sur sa vie actuelle. La doyenne des médias, qui a publié un livre il y a quelques mois, expliquait qu’elle s’oblige déjà à en écrire un autre.
Bernard Drainville se réjouissait d’entendre notre Jeannette nationale expliquer qu’elle défiait son corps pour rester alerte, ce qu’elle est, à l’évidence. En fait, elle résiste à la fatigue et se violente en quelque sorte. Elle vit l’instant et projette ses désirs dans un avenir qu’elle sait improbable.
Nombre de retraités actuels pourraient reprendre du service. Ils cesseraient alors de lutter contre l’ennui et d’éprouver leur inutilité.
Âgisme
Mais l’âgisme au Québec est omniprésent. Les nouvelles générations ont peu de bienveillance à l’égard des « vieux ». Il m’arrive très souvent de me faire poser, avec ou sans agressivité, la question de ma présence active dans les médias. « Quand prendrez-vous votre retraite ? » « Vous voulez me tuer » est ma réponse légèrement ironique.
J’ai vu trop de gens allumés de mon milieu quitter le journalisme ou cesser d’écrire des livres. Je les croise parfois. Affadis, débranchés de l’agitation intellectuelle et se plaignant de leurs maux physiques.
Le travail, c’est la santé, dit l’adage. Il est clair que trop de gens actifs, en particulier dans le milieu de la santé et de l’éducation, ont décroché trop tôt. À cause de la pression sociale ou de l’absence de reconnaissance à leur endroit dans leurs institutions.
Le Québec a besoin de toutes ses forces vives et expérimentées. Nos institutions publiques sont devenues des monstres bureaucratiques. Sans mémoire et sans cœur. Il faut applaudir donc tous ces travailleurs qui acceptent de reprendre du service à la demande du ministre de la Santé. Ce sont des citoyens responsables. Par les temps qui courent, ils nous sont précieux.
Source: Denise Bombardier, Le Journal du Québec, le 16 octobre 2021