Si certains employés continuent à travailler par plaisir après l’âge de 65 ans, pour d’autres, c’est plutôt le besoin de maintenir leur revenu qui les motive. Dans les deux cas, les employeurs ont tout intérêt à s’adapter pour conserver cette précieuse main-d’œuvre.
Selon Statistique Canada, le taux d’activité des personnes de 60 ans et plus a presque doublé ces 20 dernières années, passant de 14% en 1997 à 26% en 2017. «La même enquête nous apprend que près de 50% de ceux qui sont restés sur le marché du travail l’ont fait par nécessité», indique Benoît Dostie, professeur titulaire au Département d’économie appliquée à HEC Montréal. Quant à l’autre moitié, c’est plutôt le désir de continuer à contribuer et à apprendre, de se sentir utile et la possibilité de socialiser avec leurs collègues qui les ont incités à demeurer sur le marché de l’emploi.
Accroître la flexibilité, réduire de stress
Au Québec, on note une participation accrue des personnes âgées de 65 à 69 ans au marché du travail depuis 2001. Il faut dire que la hausse de l’espérance de vie et l’amélioration de la santé de la population ont bien changé la donne. Exception faite de ceux qui occupent des emplois pénibles physiquement, plusieurs voudront poursuivre leur carrière au-delà de 65 ans. «Outre les motivations financières, n’oublions pas que le travail n’est pas que transactionnel. Il permet aussi de se valoriser en tant qu’individu», relève Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.
Travailler plus longtemps d’accord, mais pas à n’importe quelles conditions. Ainsi, une autre enquête de Statistique Canada indique qu’une majorité des personnes prévoyant prendre leur retraite resteraient sur le marché du travail plus longtemps si elles pouvaient réduire leurs heures et leur niveau de stress.
Manon Poirier confirme que la flexibilité, les horaires allégés, le temps partiel et même le partage de poste sont des conditions gagnantes pour retenir les travailleurs expérimentés.
Richard La Rue, vice-président et coach exécutif, stratège en transition exécutive, Gestion des talents chez Gallagher, rencontre bon nombre de cadres supérieurs de cette tranche d’âge qui voudraient demeurer actifs dans un rôle impliquant moins de pression et de responsabilités. «Ils aiment ce qu’ils font, ils veulent encore relever des défis stimulants, mais ils souhaitent travailler davantage en soutien aux équipes ou à titre de consultant, par exemple», illustre-t-il.
La souplesse des horaires et des lieux de travail et la possibilité de moins travailler à certaines périodes de l’année font aussi partie des aménagements réclamés, poursuit-il.
Valoriser leur expérience et se méfier des préjugés
Manon Poirier souligne que pour retenir ces précieuses ressources en emploi, il faut aussi valoriser leur contribution. «Les employeurs doivent se rappeler ce qu’ils apportent à leur organisation : ils sont autonomes, fiables, loyaux, crédibles et possèdent un vaste réseau de contacts. Ils aident aussi à préserver la mémoire et les connaissances au sein de l’entreprise. Qui plus est, en situation de crise, ils n’ont pas tendance à paniquer, car ils ont de l’expérience et en ont vu d’autres», explique-t-elle.
Des études démontrent aussi que la présence d’employés plus âgés au sein des équipes renforce la cohésion du groupe et sa résilience. «La diversité d’âge améliore également le sentiment de sécurité psychologique», indique Richard La Rue.
Il n’en reste pas moins que les employeurs ont encore du chemin à faire, notamment pour lutter contre l’âgisme et un certain nombre de préjugés. «Ils peuvent estimer que les travailleurs expérimentés coûtent plus cher et n’ajoutent pas de valeur. Il y a aussi la question des technologies, la crainte qu’ils ne soient plus en mesure d’apprendre et de s’adapter. Il faut se défaire de ces idées reçues et considérer l’embauche de cette catégorie de travailleurs comme un avantage pour l’équipe, surtout en cette période de pénurie de main-d’œuvre», dit-il.
Selon Richard La Rue, adopter une approche inclusive prônant la diversité des âges au sein des équipes et se montrer ouvert et à l’écoute des besoins est la clé d’une cohabitation générationnelle réussie.
Comprendre les régimes de retraite
Pour avoir envie de demeurer actif plus longtemps, encore faut-il que le jeu en vaille la chandelle d’un point de vue financier. Hubert Tremblay, membre du partenariat chez Mercer, souligne que les régimes de retraite à prestations déterminées, d’ailleurs en voie de disparition, n’incitent pas à prolonger la carrière, car ils ne présentent aucun avantage, bien au contraire. «Avec les régimes à cotisations déterminées en revanche, en continuant à travailler, on peut prolonger la période d’accumulation de capital, obtenir plus de rendement et récupérer les rendements passés», note-t-il.
Il suggère aussi aux employeurs d’avoir des conversations avec leurs travailleurs expérimentés à propos des bénéfices de reporter les rentes gouvernementales au-delà de 65 ans. «Cela a pour effet de les bonifier, tant celles versées par le gouvernement provincial (RRQ-Régime de rentes du Québec) que fédéral (pension de la Sécurité de la vieillesse). Et cette augmentation est garantie à vie», précise Hubert Tremblay.
Pour sa part, Philippe d’Astous, professeur agrégé au Département de finance de HEC Montréal, note que Québec met l’épaule à la roue pour inciter les aînés à rester sur le marché du travail. «Dès janvier 2024, les gains après 65 ans ne seront plus comptabilisés dans le calcul du RRQ. Cela fera en sorte qu’une personne qui travaille à temps partiel après sa retraite ne sera pas pénalisée et ne verra pas son RRQ diminuer», explique-t-il.
Autre mesure prenant effet en janvier 2024 : un retraité de 65 ans qui demeurera actif ne sera plus obligé de cotiser au RRQ et son employeur non plus.
Ces allègements vont peut-être convaincre les employés plus âgés de demeurer en emploi, mais selon le planificateur financier, auteur et communicateur économique Fabien Major, ces mesures demeurent insuffisantes. «Concrètement, lorsqu’on tient compte du taux d’imposition et des mesures sociofiscales, on peut perdre jusqu’à 80% des sommes gagnées. Le gouvernement devrait en faire plus et instaurer des incitatifs fiscaux s’il veut retenir les travailleurs expérimentés», estime-t-il.
Source: Emmanuel Grill, Gestion HEC Montréal, août 2024