Vieillir au Québec : constats et solutions pour un meilleur système de retraite

 

Nos vies sont rythmées par le travail. Dès le plus jeune âge, les enfants doivent s’adapter à l’horaire de travail de leurs parents. Vient ensuite la garderie ou l’école, dont l’horaire est modelé sur celui d’une journée « normale » de travail. Certaines personnes poursuivent de longues études, d’autres entrent rapidement sur le marché du travail. Et pour les quelques malchanceuses qui ne trouvent rien, des programmes publics existent pour les soutenir et les pousser vers un emploi. Après de nombreuses années sur le marché du travail, c’est la retraite. On se la représente souvent comme synonyme d’innombrables parties de golf, de voyages dans des contrées chaudes et ensoleillées, de repos. Mais qu’en est-il vraiment ? La retraite est-elle réellement synonyme de vacances éternelles ?

Dans le cadre de cette étude, nous souhaitons présenter les différents niveaux de vie qu’il est possible d’atteindre après la vie dite active afin de mettre en lumière les failles du système québécois de retraite, qui n’offre pas à l’ensemble de la population retraitée une vie digne. Pour ce faire, nous commencerons par faire un retour historique sur les programmes de soutien au revenu des personnes âgées de 65 ans et plus, puis nous présenterons quelques notions qui nous aideront à déterminer la justesse des programmes qui ont été mis en place. Ce travail nous permettra de comparer le modèle québécois à ce qui se fait ailleurs, notamment au Danemark et aux États-Unis. Nous terminerons en présentant des réformes qui permettraient d’améliorer la situation au Québec en prenant en considération les défis particuliers auxquels fait face la société.

Histoire et concepts

* Pour voir les graphiques, vous pouvez télécharger la version complète de l’étude ici.

Présentation historique du modèle québécois

Les revenus des personnes à la retraite proviennent de quatre grandes sources dont les origines sont profondément ancrées dans l’évolution de nos structures sociales. D’abord, il y a les prestations universelles versées par le gouvernement fédéral qui permettent un revenu minimal à l’ensemble des personnes âgées. Ensuite, il y a le Régime de rentes du Québec (RRQ), qui est un régime de retraite obligatoire pour l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. À cela s’ajoutent les régimes de retraite d’employeur, qui s’apparentent à un salaire différé, mais qui sont offerts seulement dans certains milieux de travail, principalement ceux qui sont syndiqués. Finalement, certaines personnes peuvent compter sur leurs économies personnelles sous différentes formes, dont les REER, un véhicule d’épargne créé précisément pour la fin de la vie active.

Rappelons d’abord que le concept même de retraite s’est généralisé avec le travail salarié. Auparavant, les gens travaillaient jusqu’à ce que leur corps ou leur tête ne suive plus, puis c’était à leur famille de les prendre en charge. L’industrialisation et l’urbanisation à la fin du XIXe siècle ont rendu ces structures de solidarité plus difficiles à maintenir1. Les institutions religieuses ont pris une part du relais, mais la charge et les besoins étaient trop grands : les familles ne vivaient plus toutes dans un même secteur ou une même région et le travail salarié ne permettait pas d’assurer une subsistance au-delà de la période travaillée. De plus, l’amélioration des conditions de vie et de travail permettait une plus longue espérance de vie, ce qui multipliait le nombre de personnes âgées dans la société. Cela a mené le mouvement ouvrier à réclamer dès le début du XXe siècle la mise en place de mécanismes pour répondre aux besoins financiers des personnes aînées lorsque celles-ci ne pouvaient plus exécuter leurs tâches en raison de l’âge2.

Poussées par les syndicats, de grandes entreprises se sont alors mises à offrir des régimes de retraite afin d’atteindre leurs propres objectifs. D’abord, elles souhaitaient attirer et retenir des travailleurs, surtout au sommet de la hiérarchie (cadres, gérants, chefs de chantier, etc.3). Ensuite, elles voulaient offrir une compensation pour les risques associés à un travail dangereux, comme celui sur les chemins de fer. Elles cherchaient également à exercer un contrôle sur leurs employés afin d’éviter la syndicalisation et les conflits de travail. En effet, comme les régimes de retraite n’étaient pas encadrés légalement à l’époque, l’employeur pouvait se permettre d’imposer des conditions de loyauté très strictes pour accorder le droit à la pension. Ainsi, la pension pouvait être révoquée en cas de participation à une grève ou à une assemblée militante. À cela, on peut ajouter une quatrième raison : les employeurs voulaient que les travailleurs plus âgés et moins productifs cèdent leur place, d’autant plus que le mouvement ouvrier exigeait la reconnaissance du principe d’ancienneté. La retraite se voulait alors un compromis : on vous demande de partir, mais on vous offre des prestations en échange.

Ces régimes représentaient tout de même un gain certain dans les conditions de travail, mais il restait encore beaucoup de place à l’amélioration, notamment pour les rendre moins arbitraires et plus pérennes. La Deuxième Guerre mondiale offre une occasion à cet égard. Voulant empêcher que des entreprises privées profitent de la conjoncture pour réaliser des bénéfices abusifs, le gouvernement fédéral adopte des lois pour rendre fiscalement désavantageux un taux de profit au-delà d’une certaine limite. Pour les employeurs, une façon de contourner ces restrictions était d’augmenter les salaires et les avantages sociaux. Selon cette logique, et sous la pression des syndicats, les entreprises amélioraient les conditions de travail, ce qui augmentait les coûts de production, et permettaient de faire des profits plus importants en valeur absolue. On observe alors une croissance phénoménale du nombre de régimes de pension agréés (RPA) au Canada et au Québec entre 1940 et 19704. Cependant, cette dynamique s’est peu transférée, encore à ce jour, aux milieux de travail non syndiqués.

Les prestations publiques, quant à elles, ont d’abord été mises en place pour répondre aux besoins généraux des personnes âgées vivant dans la pauvreté. Les premières prestations de vieillesse, en 1927, n’étaient accessibles qu’aux personnes pouvant démontrer qu’elles vivaient dans l’indigence et n’avaient aucun réseau de soutien. Le processus d’obtention était humiliant et les revenus offerts peu généreux5. Toutefois, le programme était très populaire et jouissait d’un large appui dans la population. En 1951, il devient réellement universel (les tests de moyens sont abolis) et prend le nom de Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV).

Ces deux sources de revenus, l’une privée payée par l’employeur et l’autre publique versée par l’État, ne permettaient pas à l’ensemble de la population âgée de répondre à ses besoins. Comme nous l’avons mentionné plus haut, les régimes de retraite d’employeur étaient (et sont encore) concentrés dans les emplois syndiqués et sont de qualité variable. Même lorsque des règles plus strictes et uniformes ont commencé à s’appliquer aux régimes d’employeur, ce qui les rendait moins arbitraires, plusieurs écueils demeuraient. D’une part, il fallait accumuler plusieurs années dans un poste permanent, souvent à temps plein, pour avoir droit aux prestations et, d’autre part, il était difficile, voire impossible, de transférer ses économies lorsque l’on changeait d’employeur. Cela réduisait grandement la possibilité d’avoir un revenu décent à la retraite, particulièrement pour les travailleurs au bas de l’échelle et les femmes. Afin d’offrir un soutien au revenu stable à l’ensemble de la population ayant travaillé, le gouvernement du Québec décide en 1964 d’instaurer le Régime de rentes du Québec (RRQ), géré par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Le gouvernement fédéral avait les mêmes ambitions et, grâce à un accord fédéral-provincial, a développé en parallèle le Régime de pensions du Canada (RPC). Dans les deux cas, les prestations sont censées remplacer 25 % du revenu à la retraite, basé sur l’ensemble des années de cotisation. Les prestations sont payées à la fois par les travailleurs et travailleuses ainsi que par les employeurs, puis l’argent est géré par un fonds (la CDPQ) qui a comme mission de faire fructifier l’argent des épargnant·e·s en investissant dans des projets locaux (et ainsi réduire la dépendance du Québec envers les institutions financières ontariennes ou états-uniennes)6. Parmi les avantages de ces régimes publics contributifs, on trouve la portabilité du régime de retraite. En effet, les travailleurs et travailleuses conservent leurs avantages de pension même en changeant d’emploi, ce qui n’est pas garanti dans les régimes d’employeur.

En 1967, le Supplément de revenu garanti (SRG) s’ajoute aux programmes de soutien au revenu pour accompagner le déploiement du RRQ et du RPC7. L’objectif était de verser des prestations temporaires pour compenser les prestations partielles que les premières personnes participantes recevraient puisqu’elles avaient peu d’années de cotisation. Cependant, les autorités ont été contraintes de reconnaître que ce besoin de compensation de revenu était persistant pour prévenir la pauvreté chez les aîné·e·s. Ce programme temporaire est donc devenu permanent. Les prestations du SRG sont versées aux personnes dont les revenus (excluant la PSV) sont sous un certain seuil. Au fur et à mesure que les revenus augmentent, le SRG est diminué jusqu’à ce qu’il soit complètement éliminé. Il permet de garantir un certain niveau de revenu pour les aîné·e·s qui ont la citoyenneté ou la résidence permanente canadienne et qui ont habité le Canada plus de 10 ans.

Entre la popularisation des régimes d’employeur au début des années 1950 et la création des programmes publics liés à l’emploi dans les années 1960, le gouvernement fédéral met en place un nouveau véhicule de retraite en 1957, les Régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER), afin d’offrir aux travailleurs et travailleuses autonomes, ainsi qu’aux personnes qui ont une profession libérale, un régime de retraite complémentaire8. En effet, la multiplication des régimes d’employeur ne profite pas à ces groupes. Les REER leur offrent un avantage fiscal individuel en reportant l’imposition sur l’argent mis de côté pour la retraite au moment de son retrait. Des limites sont imposées sur les sommes qui peuvent y être investies, entre autres pour éviter que les REER soient utilisés comme échappatoires fiscales. Ces seuils ont augmenté périodiquement, particulièrement depuis la fin des années 19809. Ce rehaussement s’est accompagné de campagnes de publicité pour que l’ensemble de la population adopte ce type de véhicule de retraite. Comme les programmes publics ne suffisent pas pour couvrir les besoins des retraité·e·s et que les régimes d’employeur ne se sont pas généralisés, la responsabilité de prévoir sa retraite repose de plus en plus sur les épaules des individus.

Voilà qui explique sommairement comment le système canadien et québécois s’est construit. L’édifice des revenus à la retraite tient sur plusieurs étages. La PSV constitue la fondation universelle offerte à l’ensemble de la population âgée. Le SRG pourrait être assimilé à des poutres de soutènement : on aimerait mieux s’en passer, mais en cas de réel besoin, le programme permet de soutenir le revenu pour éviter l’indigence. Viennent ensuite les programmes liés à l’emploi, d’abord le RRQ, programme public qui vise le remplacement de 25 % du revenu, puis les programmes d’employeur, les RPA, qui devraient combler les besoins et permettre de maintenir un niveau de vie décent. Malheureusement, ces derniers ne sont pas offerts partout, et leur qualité varie grandement d’un endroit à l’autre. L’étage suivant serait celui des REER, ce compte d’épargne enregistré qui se voulait d’abord le pendant individuel des régimes d’employeur et qui est devenu, avec le temps, une pièce importante de la sécurité financière des aîné·e·s. Pour terminer, on trouve dans ce qui pourrait être vu comme le grenier les actifs et autres types de revenus. Ceux-ci incluent la résidence principale pour les propriétaires, ainsi que les revenus d’emploi pour celles et ceux qui restent sur le marché du travail après la retraite. Selon Retraite Québec, les revenus d’emploi pourraient constituer à eux seuls un étage de l’édifice de la retraite étant donné l’augmentation du taux d’emploi des personnes de 60 ans et plus et le désir de l’organisme de normaliser le travail comme moyen de répondre à ses besoins financiers même après l’âge officiel de la retraite. De notre côté, nous préférons les laisser au « grenier » avec les autres actifs afin de bien indiquer qu’il s’agit d’une source excédentaire de revenus, qui n’est pas généralisable à l’ensemble de la population âgée.

Les régimes publics sont venus compenser le désengagement de l’entreprise privée à l’égard de la retraite. La responsabilité personnelle demeure un aspect important du système, mis de l’avant particulièrement depuis les années 1990. Un des objectifs que le système essaie d’atteindre, et qui explique les diverses réformes et le développement de nouvelles solutions, est de réduire le taux de pauvreté des personnes âgées. Selon Statistique Canada, le taux de MFR-50 atteignait, en 2020, 14,5 % pour les personnes de 65 ans et plus à l’échelle nationale. Au Québec, le pourcentage est beaucoup plus élevé, à 19,7 %10, et il double pour les personnes qui vivent seules, à 40,4 %.

Cadre théorique

Définition d’une couverture adéquate

Les systèmes de retraite nationaux répondent aux préoccupations et aux valeurs de la société qui les met en place. Si certains principes restent les mêmes, les modalités varient entre les pays. Avant d’examiner en détail les systèmes du Québec et du Danemark et les mécanismes particuliers aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, nous définirons un cadre théorique qui permettra de mieux apprécier leurs forces et leurs faiblesses respectives.

Qu’est-ce que la retraite ?

Par convention, les personnes âgées de 15 à 64 ans sont celles qui entrent dans la catégorie de la population « active », à condition d’être en emploi ou à la recherche d’un emploi11. On considère que les personnes plus jeunes sont encore à la charge de leurs parents et que les personnes plus âgées se sont retirées du marché du travail. En conséquence, des programmes de soutien au revenu ont été mis en place afin d’assurer un revenu minimal aux personnes considérées comme trop âgées pour demeurer sur le marché du travail. Bien qu’il n’existe pas de consensus pour déterminer quel est le revenu adéquat pour les personnes âgées, quelques principes peuvent guider le choix des politiques publiques.

Une première façon de parler des revenus à la retraite serait de dire qu’il s’agit d’un simple salaire différé. En d’autres mots, les personnes qui travaillent acceptent d’être payées moins sur le coup pour continuer de recevoir des revenus après leur vie active. Les cotisations salariales renforcent cette perception : les salarié·e·s mettent de l’argent de côté pendant leur vie active, puis reçoivent les prestations liées à ces cotisations une fois à la retraite. Une deuxième manière de comprendre la retraite est de considérer que les revenus à la retraite permettent de lisser la consommation, de donner à la population âgée assez de moyens pour qu’elle puisse continuer de répondre à ses besoins et de participer à l’économie. Une troisième manière d’aborder les prestations de retraite serait de les voir comme une redistribution de la croissance économique en reconnaissance du travail effectué. En effet, que l’on parle d’infrastructures, d’institutions ou des différentes pratiques économiques et sociales, la société d’aujourd’hui existe grâce au travail effectué dans le passé.

On parle principalement de deux modèles pour concevoir les prestations sociales et de retraite. D’abord, il y a la vision de Bismarck, kaiser allemand de la fin du XIXe siècle, qui proposait un système basé sur le principe de l’assurance : avec des cotisations sociales basées sur le salaire, des programmes publics sont mis en place pour socialiser les risques. L’objectif est alors de compenser les pertes de revenus provenant des aléas de la vie (maladie, vieillesse, etc.), mais seulement pour les personnes qui participent au financement du programme, donc pour les travailleurs et travailleuses.

On oppose généralement ce modèle à celui de William Beveridge, un économiste anglais du milieu du XXe siècle qui proposait la mise en place d’un filet social universel financé collectivement par l’État. Dans cette vision, c’est l’ensemble de la population qui est couverte par les programmes sociaux, sur la base de la citoyenneté, et elle reçoit des prestations plus ou moins uniformes. Comme nous l’avons vu rapidement plus haut (et comme nous le verrons plus en détail au chapitre 2), au Québec et au Canada, le système de retraite emprunte des caractéristiques aux deux modèles.

Quel niveau de revenus pour la retraite ?

Le taux de remplacement à la retraite représente la proportion entre les revenus à la retraite et ceux obtenus pendant la vie active. Entre 60 et 80 %, on considère qu’il est possible de maintenir un niveau de vie à la retraite semblable à celui de la vie active12. Un revenu plus bas que le salaire gagné au travail devrait en effet pouvoir répondre adéquatement aux besoins à la retraite puisque certaines dépenses sont généralement moindres lorsqu’une personne quitte la vie active. Par exemple, les dépenses liées à l’hypothèque, au soutien aux enfants, au travail ou à l’épargne en vue de la retraite diminuent considérablement13. De plus, les personnes âgées paient généralement moins d’impôt : par exemple, au Canada, les sommes qu’elles tirent du SRG et des comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) en sont exemptées14, il n’y a plus de cotisations sociales sur leurs revenus de retraite et elles ont droit à différents crédits d’impôt réservés aux aîné·e·s15.

Si les arguments pour justifier la réduction des revenus peuvent sembler convaincants, le seuil de 60 à 80 % paraît tout de même arbitraire. Il postule que l’ensemble des systèmes internationaux sont comparables, tant sur le plan des avantages fiscaux que de la structure des dépenses des ménages. Ajoutons qu’un remplacement idéal de revenu ne peut être que relatif. Par exemple, un taux de remplacement de 60 % pour une personne qui gagne un salaire la plaçant tout juste au-dessus du seuil de pauvreté ne parviendra pas à la maintenir hors de la pauvreté une fois à la retraite.

Il existe plusieurs définitions statistiques de ce qu’est la pauvreté. Au Québec, on utilise principalement deux mesures : la mesure du panier de consommation (MPC) et la mesure de faible revenu (MFR). La MPC est une mesure de panier, c’est-à-dire qu’elle est calculée en fonction du coût réel d’un panier de biens et de services jugés essentiels (logement, nourriture, vêtements, etc.), mais elle exclut les dépenses non discrétionnaires qui varient selon les besoins des ménages (notamment les frais de garde et les frais médicaux non assurés). Bien que souvent utilisée pour parler du niveau de pauvreté, il s’agit plutôt d’un seuil de couverture minimal16. En d’autres mots, toucher un revenu équivalent à la MPC ne veut pas dire vivre hors de la pauvreté, mais sans ce montant, il n’est pas possible de répondre à ses besoins de base, et encore moins si on a des besoins particuliers. L’autre indicateur, la MFR, se décline en deux indices. La MFR-50 est calculée à partir du revenu représentant 50 % du revenu médian de la population. Il s’agit d’une mesure relative, plus facile à calculer et à comparer entre différentes époques ou pays. La MFR-60, soit le revenu représentant 60 % du revenu médian de la population, permet quant à elle de faire des comparaisons internationales sur la sortie de la pauvreté. Cependant, cet indicateur de référence n’est calculé ni par Statistique Canada ni par l’Institut de la statistique du Québec.

Il existe également une mesure de panier pour parler de la sortie de la pauvreté, calculée par l’IRIS chaque année : le revenu viable17. Il correspond aux dépenses nécessaires pour une vie digne, comprenant par exemple des vacances, des sorties culturelles et des économies pour répondre aux imprévus.

Pour les fins de notre étude, nous allons donc utiliser le concept de taux de remplacement avec précaution en énonçant trois principes de base :

  1. Les revenus des personnes âgées devraient, au minimum, se placer au-delà de la mesure du panier de consommation.
  2. Les personnes qui sont à la retraite après avoir travaillé à temps plein pendant l’ensemble ou la majorité de leur vie active devraient être en mesure d’atteindre le seuil de revenu viable (SRV).
  3. Au-delà de ce seuil, l’objectif à la retraite est d’obtenir des revenus qui couvrent au moins 60 % du revenu gagné durant la vie active.

Il y a plusieurs manières de calculer ce taux pour l’ensemble de la population. Bien que cela ne nous informe pas sur la situation de toutes les personnes âgées, cela permet d’avoir une vue générale du contexte social. On peut regarder quel est le ratio entre les bénéfices médians des retraité·e·s et le salaire moyen des travailleurs et travailleuses en fin de carrière. De cette manière, on peut mettre en lumière l’impact de la retraite sur les revenus. Si l’on compare les revenus totaux médians de ces deux groupes pour le Québec, on obtient un ratio de 59,6 %, ce qui les situe tout juste sous la zone jugée acceptable18. Si une telle performance peut sembler encourageante, elle cache une réalité beaucoup plus nuancée. En effet, le revenu médian pour les 65 ans et plus se situe à 27 350 $19 en 2020, soit sous le seuil de revenu viable pour une personne seule dans la majorité des localités étudiées20.

L’approche théorique est la méthode le plus fréquemment utilisée : en partant de certaines hypothèses, on estime le parcours d’un travailleur ou d’une travailleuse type et les revenus qu’il ou elle devrait obtenir en comparaison avec son parcours professionnel. C’est aussi la manière la plus simple puisque l’on contrôle tous les aspects de notre retraité·e type. Toutefois, il est important de vérifier à quel point la réalité est conforme à la théorie. Par exemple, bien qu’il soit plus facile de calculer les rentes potentielles pour une personne qui a cotisé au RRQ toute sa vie au maximum des gains admissibles, les parcours professionnels sont souvent beaucoup moins linéaires. Le graphique 1 permet d’illustrer l’évolution des revenus de différentes cohortes entre 1976 et 2016. Ces données montrent l’importance de s’attarder aux paramètres utilisés dans le modèle et de les comparer avec les données disponibles.

Cela étant dit, le taux de remplacement ne peut suffire en soi pour parler de revenus adéquats à la retraite. Comme mentionné plus haut, un taux de 60 à 80 % ne garantit pas nécessairement un revenu décent. C’est notamment le cas pour les personnes dont la situation sur le marché du travail est précaire, que ce soit parce qu’elles travaillent à temps partiel, pour un faible salaire ou dans un emploi saisonnier. Comme l’un des objectifs des transferts à la retraite est de prévenir la pauvreté, il est essentiel de tenir compte de cet aspect lorsque l’on parle de niveaux de revenus à la retraite.

En 2022, l’Observatoire québécois des inégalités a publié un rapport en utilisant le SRV pour évaluer la situation de pauvreté des aîné·e·s21. Les conclusions du rapport sont éclairantes. En 2018, si le Québec réussit à éviter le pire pour ses personnes âgées en garantissant une couverture minimale des besoins (seulement 5,1 % de la population aînée est sous la MPC), plus de la moitié (53,4 %) des personnes âgées de 65 ans et plus ne parvient pas à obtenir un revenu viable.

Malgré la précarité révélée par ce rapport, le portrait qui est présenté demeure prudent. Les aîné·e·s n’ont pas le même profil de consommation que les ménages plus jeunes et certaines dépenses peuvent vite dépasser le cadre du revenu viable, notamment en ce qui a trait au logement et aux soins de santé. Les catégories « fonds de prévoyance » et « marge de manœuvre », représentant 3402 $ lorsque combinées, permettent de couvrir certains coûts, mais ce n’est pas toujours suffisant22. Bien que la majorité des personnes âgées habite dans une résidence privée (qu’elles soient locataires ou propriétaires), il n’en demeure pas moins que c’est au Québec que la proportion de personnes de 75 ans et plus vivant dans une résidence de personnes âgées est la plus élevée au Canada, à 17 %. En comparaison, ce taux varie entre 5 et 10 % dans les autres provinces23. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, le loyer moyen pour ce type de résidence est de 1922 $ pour une place standard, sans service. Cela revient donc à 23 064 $ par année pour se loger, une somme considérablement plus élevée que ce qui est prévu dans le revenu viable (9 852 $). Certains crédits fiscaux et déductions peuvent s’appliquer, mais il n’en demeure pas moins que c’est une somme prohibitive pour une bonne partie de la population âgée24. De plus, cette somme est appelée à augmenter en fonction des différents services obligatoires facturés en plus du loyer selon l’établissement25. Pour les personnes en perte d’autonomie, bien que certains postes de dépenses risquent de diminuer en fonction des capacités physiques ou mentales, les besoins financiers peuvent être encore plus importants puisque le loyer mensuel moyen pour une place avec soins assidus est de 3653 $, soit plus de 40 000 $ par année26. La solution de rechange pour plusieurs ménages est de se tourner vers les soins à domiciles, ce qui entraîne également des coûts supplémentaires.

Nous n’avons pas les calculs pour tous les cas de figure cités plus haut, mais comme la majorité des personnes de 65 ans et plus vivent dans un logement privé avec un haut niveau d’autonomie, nous jugeons toutefois qu’il est acceptable d’utiliser le revenu viable pour une personne seule, ajustée quand il est questions de couples.

Revenus à la retraite

Comme nous l’avons vu à la section précédente, il existe plusieurs manières d’aborder les revenus à la retraite. Deux questions nous intéressent particulièrement. D’abord, le Québec peut-il garantir aux personnes âgées un revenu au-delà du revenu viable, donc exempt de pauvreté ? Ensuite, arrive-t-on à remplacer adéquatement le revenu de travail pour les personnes qui prennent leur retraite ? En d’autres mots, le système québécois répond-il aux besoins à la fois des personnes les plus précaires et des travailleurs et travailleuses ? En prenant le revenu viable calculé en 2022, une personne seule devrait gagner entre 25 000 et 35 000 $, selon l’endroit où elle habite, pour vivre dignement. Quant au seuil minimal de couverture de besoins (la MPC), il est d’environ 21 000 $. En supposant que les besoins des couples aînés sont similaires à ceux des personnes seules, nous utiliserons le même facteur d’équivalence que la MPC pour estimer le seuil de revenu viable (SRV) pour un couple27. Comme cet indicateur varie selon les villes où il est calculé, nous avons choisi d’indiquer le minimum (Saguenay) et le maximum (Sept-Îles) à atteindre pour donner une idée du spectre dans lequel ce revenu se situe. Le résultat se trouve au tableau 1.

Dans ce chapitre, nous évaluerons la distribution des personnes âgées selon leurs revenus avec ces deux seuils (la MPC et le SRV) en tête, tout en considérant le taux de remplacement du revenu des personnes qui sont à la retraite.

Nous présentons au graphique 2 la distribution des personnes de 65 ans et plus selon leurs revenus après impôt et la taille de ménage (personne seule ou ménage de deux personnes). Afin de rendre leurs revenus comparables, nous avons créé des catégories qui se rapportent aux seuils mentionnés plus haut. Le graphique permet de voir que les personnes seules sont beaucoup plus pauvres que celles qui sont en couple. Alors qu’environ le cinquième des personnes vivant en couple (18 %) ont un revenu qui se trouve en deçà de la zone de SRV, cette proportion est de plus de la moitié pour les personnes qui vivent seules (53 %).

Le graphique 3 offre quant à lui un portrait de l’origine des revenus des personnes de 65 ans et plus. Il ne s’agit pas ici des revenus d’une personne type, mais de tout l’argent versé à l’ensemble des personnes de 65 ans et plus. Cela permet de voir quelles sont les sources principales de revenu de cette population. Près de la moitié des revenus versés aux personnes de 65 ans et plus provient de programmes publics, c’est-à-dire de la PSV, du SRG, du RRQ et des autres transferts publics. Si l’on se rapporte à l’image de la maison de la section précédente, cela réfère aux fondations, aux poutres de soutènement et au rez-de-chaussée. Les pensions privées, donc les régimes d’employeur, qui bénéficient seulement aux personnes âgées qui y ont accès grâce à l’emploi qu’elles occupaient avant la retraite, viennent ensuite assurer près du tiers des revenus des personnes de 65 et plus. Les REER, ces comptes d’épargne enregistrés en vue de la retraite, représentent quant à eux une part marginale des revenus. Enfin, les revenus d’emplois comptent pour environ 10 % des revenus de ce groupe.

Toutefois, rappelons-le, ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui reçoivent de l’argent de chacune de ces sources. Le graphique 3 permet seulement de voir comment se répartit l’ensemble des sommes qui sont versées à toutes les personnes de 65 ans et plus. Au graphique 4, nous présentons le pourcentage d’aîné·e·s qui reçoivent de l’argent de différentes sources. Cela permet de mettre en perspective certains chiffres du graphique précédent. Par exemple, on note que les transferts publics représentent non seulement une part importante du revenu des personnes âgées, mais qu’il s’agit également d’une source quasi universelle, car plus de 90 % des aîné·e·s reçoivent de telles prestations. Les pensions privées ne couvrent que 60 % de la population âgée, mais comptent pour 30,9 % des revenus versés à cette cohorte. C’est donc dire que les personnes qui peuvent compter sur ces revenus reçoivent généralement d’importantes sommes. Près de la moitié de ces personnes reçoivent des revenus venant d’intérêts ou de dividendes, mais cela ne compte que pour 7,9 % des revenus. Cela peut paraître peu, mais les revenus provenant de cette source varient énormément selon la richesse des personnes. Bien que Statistique Canada ne permette pas de croiser les données par cohorte d’âge et par groupe de revenus, notons que la moyenne de revenus perçus dans cette catégorie est d’environ 2000 $ pour les personnes gagnant moins de 60 000 $ et de 25 000 $ pour le groupe de 100 000 $ et plus28. Cet écart important persiste sûrement à la retraite et représente donc une part marginale du revenu de la plupart des aînés et une part plus substantielle de quelques fortunés. Il est également intéressant de voir que très peu de personnes âgées ont retiré des sommes de leurs REER en 2019 : seulement 5,5 %. Ici aussi, il vaut la peine de creuser un peu pour mieux comprendre. Les REER sont des comptes immobilisés auxquels on cotise jusqu’à la retraite. Lorsque vient le temps d’en retirer des prestations, différentes options sont possibles, selon les besoins et les fonds disponibles. Plusieurs choisissent de transférer les sommes accumulées dans un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). Les prestations ainsi obtenues changent de catégorie de revenus, devenant des revenus de pension privées. Finalement, nous souhaitons attirer l’attention sur des données entourant le travail. La retraite est synonyme dans l’imaginaire collectif de l’arrêt du travail. Pourtant, plus du cinquième de l’ensemble des aîné·e·s reçoit des revenus provenant d’un emploi.

Une autre manière d’aborder les revenus de retraite est de considérer leur évolution les uns par rapport aux autres dans les dernières années. Pour ce faire, nous avons mis les chiffres sur une base 100 dans le graphique 5, ce qui permet de nous concentrer sur leurs variations plutôt que sur leur importance dans le revenu des personnes âgées. L’année 2020 ayant été tout sauf normale, nous préférons arrêter notre graphique en 2019.

Certaines sources ont perdu de la valeur depuis 2000. C’est le cas des dividendes et des REER qui ont diminué d’environ 20 %. On parle ici de sources de revenus pour l’ensemble de la population. Cela s’explique, en partie, par le fait qu’on observe une diminution du nombre de personnes âgées qui utilisent ces sources de revenus. Entre 2000 et 2019, la proportion d’aîné·e·s ayant obtenu des prestations de REER a baissé d’environ 30 %. De plus, la valeur des sommes que l’on peut retirer de tels comptes varie selon les rendements et, comme on l’a mentionné plus haut, une large part des prestations provenant des REER se retrouvent dans la catégorie des pensions privées. La PSV et le SRG, indexés automatiquement par le gouvernement fédéral, sont restés stables tout le long de la période. Les autres sources de revenus ont augmenté à des degrés divers. Toutefois, la hausse la plus marquante est celle des revenus provenant d’un emploi, qui a plus que doublé.

Prenons maintenant le temps de décortiquer ces données29.

Programmes publics (PSV, SRG, RRQ)

La Pension de la sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti, qui relèvent du gouvernement fédéral, sont des programmes quasi universels. La PSV offre des prestations à tous les citoyen·ne·s canadien·ne·s et résident·e·s permanent·e·s de 65 ans et plus qui ont habité sur le territoire du Canada au moins 10 ans depuis l’âge de 18 ans. Elle permet de recevoir jusqu’à 9000 $ par année. Pendant près de 40 ans, les prestations de la PSV étaient universelles. Peu importe les revenus des personnes de 65 ans et plus, une même somme leur était distribuée. Cette façon de faire a été mise à mal à la fin des années 1980, alors qu’un courant néolibéral balayait la politique aux États-Unis et en Europe. L’État canadien faisait alors face à un taux d’endettement élevé auquel le gouvernement conservateur de Brian Mulroney voulait s’attaquer. Pour réduire le déficit, il met en place la taxe sur les produits et services (TPS) et coupe dans plusieurs dépenses sociales, dont la PSV. Il propose d’abord d’abolir l’indexation, mais une levée de boucliers le force à changer de stratégie. Il introduit alors un mécanisme de « récupération fiscale » qui réduit la prestation jusqu’à l’annuler complètement au-delà d’un certain seuil. C’est la fin de la pleine universalité de la prestation. C’est encore de cette manière que fonctionne la PSV. En 2022, les prestations sont réduites à partir d’un revenu de 79 845 $ et une personne qui gagne plus de 129 757 $ ne reçoit plus rien.

D’autres gouvernements ont essayé de réduire la portée de la PSV afin de diminuer sa part dans le budget canadien, mais l’appui public à ce programme universel est très fort. La mobilisation citoyenne et politique a fait reculer les réformes les plus importantes. En 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a reporté à 67 ans l’âge pour obtenir la pleine pension de la sécurité de la vieillesse. La transition devait se faire entre 2023 et 2029, mais a été annulée par Justin Trudeau après son élection en 201630.

Le SRG permet quant à lui d’assurer des revenus d’au moins 20 500 $ pour une personne seule et de 31 300 $ pour un couple. Les prestations sont versées en fonction du revenu et diminuent au fur et à mesure que celui-ci augmente. Pour chaque dollar gagné au-delà de la PSV, de 0,25 à 0,75 $ sont retranchés du SRG, jusqu’à ce que la prestation soit entièrement éliminée lorsqu’un revenu de 29 000 $ est atteint pour une personne seule et de 45 700 $ pour un couple. Au Québec, 41,6 % des personnes qui reçoivent des prestations de la PSV reçoivent également des prestations du SRG31.

Enfin, le Régime de rentes du Québec (et sa version canadienne, le Régime de pensions du Canada) est basé sur les cotisations salariales payées à la fois par les travailleuses et travailleurs et les employeurs. Il a été conçu pour remplacer jusqu’à 25 % du salaire, jusqu’à concurrence du maximum des gains assurables (MGA32), fixé à 66 600 $ en 2023. En 2019, un programme supplémentaire a été ajouté pour augmenter le taux de remplacement à 33 %, mais en fonctionnant sur une base de financement différente en incluant des principes d’ajustement qui pourraient augmenter les cotisations, réduire la rente ou annuler l’indexation si les fonds ne sont pas disponibles. Le plafond a aussi été relevé pour cette deuxième tranche du RRQ. Les cotisations s’appliqueront jusqu’à 114 % du MGA, ce qui représenterait environ 76 000 $ en 2023.

Par ailleurs, il est possible de devancer le versement du RRQ à 60 ans, ce qui réduit le montant des prestations. Au contraire, si la personne reporte les premiers versements jusqu’à 70 ans, une bonification sera opérée pour le RRQ et la PSV. On peut voir au graphique 6 comment ces prestations de base varient pour une personne ayant cotisé au maximum du MGA toute sa vie active, en fonction de l’âge auquel elle commence sa retraite.

L’impact de retarder ou de devancer ses prestations est permanent. Ainsi, les personnes qui peuvent se permettre de rester au travail plus longtemps auront plus de revenus tout au long de leur retraite, contrairement à celles qui choisissent ou sont contraintes de quitter le marché du travail plus tôt et qui recevront des sommes moindres. Peu importe la décision prise, le graphique illustre le manque à gagner pour une personne qui n’a pas de régime complémentaire. Même en retardant ses prestations à 70 ans, elle ne peut espérer qu’un remplacement de 50 % du salaire qu’elle touchait durant sa vie active. Bien que ce pourcentage soit sous la fourchette désirée pour maintenir son niveau de vie, cela représente tout de même une somme qui permet d’atteindre le revenu viable dans la plupart des villes du Québec (33 485 $), ce qui n’est pas le cas pour les personnes qui prennent leur retraite à l’âge « normal » de 65 ans.

Toutefois, pour avoir droit à la prestation maximum (ce qui est illustré dans notre graphique), il faut avoir cotisé au plafond des gains admissibles pour chaque année prise en considération pour le calcul des prestations33, ce qui n’est pas réaliste pour la majorité de la main-d’œuvre. À titre d’exemple, 94 667 personnes sont devenues bénéficiaires en 2020. De ce nombre, seulement 2675 ont reçu les prestations maximales, soit 2,8 %. Les hommes composent 83,8 % de ces nouveaux prestataires recevant le maximum des prestations (tableau 2).

S’il est impossible d’avoir des revenus de retraite adéquats en ayant un travail rémunéré à la hauteur du MGA toute sa carrière, c’est encore plus vrai pour celles et ceux qui ont eu des salaires plus faibles pendant une partie ou l’ensemble de leur vie active. Les transferts minimaux permettent tout juste d’atteindre la mesure du panier de consommation à l’âge de 65 ans, le minimum pour couvrir ses besoins de base sans excès ni marge de manœuvre pour les imprévus. Ce montant permet d’atteindre un seuil minimal de couverture des besoins, mais il n’est pas suffisant pour sortir de la pauvreté.

Régimes collectifs privés (RPA, RVER, REER collectif)

De toute évidence, les programmes publics ne permettent pas d’atteindre les cibles de 60 à 70 % des revenus de la vie active. Ils sont encore moins adéquats si on ne peut retarder l’âge des premiers versements. Cela n’est pas surprenant puisque le système de retraite a été construit en tenant pour acquis que le secteur privé, donc les employeurs, devait prendre en charge une partie de la responsabilité des revenus à travers des régimes de pension agréés. Les premiers régimes d’employeurs étaient des régimes à prestations déterminées (RPD). Dans ce modèle, les cotisations servent à « acheter » une rente qui sera versée à la retraite. Les prestations sont donc fixées d’avance, ce qui permet un revenu stable et prévisible. Comme l’épargne est mutualisée entre l’ensemble des adhérent·e·s au régime, le risque est réparti sur une large population. Dans les cas où le fonds est mal financé, c’est la responsabilité de l’employeur d’assurer que les rentes sont payées. Les cotisations peuvent être rehaussées au besoin, tout comme des congés peuvent être accordés si la santé financière du fonds le permet. Ces congés ont été fréquents dans les années 1980, alors que les rendements des investissements étaient très élevés. Toutefois, quelques années plus tard, la situation avait radicalement changé et plusieurs employeurs ont fait face à des problèmes financiers ou à de la négligence passée lorsque est venu le temps de respecter leurs obligations.

On entend parler de plus en plus souvent d’un autre type de régime de retraite, qui existe lui aussi depuis longtemps : les régimes à cotisations déterminées (RCD). Dans ce cas, les cotisations sont fixées d’avance et les prestations sont déterminées a posteriori, quand l’argent est retiré à la retraite. Il est difficile d’estimer a priori les revenus auxquels les cotisant·e·s auront droit puisqu’ils varieront selon la performance du fonds et selon l’évaluation de leur longévité potentielle lorsque ces avoirs seront retirés. Le risque est ainsi entièrement sur les épaules des cotisant·e·s puisque les seules responsabilités de l’employeur sont d’offrir le régime et d’y cotiser.

Peu importe le type de régime, moins de la moitié des personnes ayant un emploi ont la chance d’en avoir un, une proportion qui a diminué de beaucoup depuis le début des années 1990. Le graphique 7 permet également de voir que les types de régimes offerts ont changé. Bien que la majorité adhère toujours à un RPD, il s’agit du type de régime qui a connu la plus forte baisse. À l’inverse, les RCD et les régimes de retraite à prestations cibles (RRPC) sont de plus en plus populaires.

Les RRPC se présentent comme des RPD dont le risque est partagé. Le régime promet des prestations déterminées, mais ne les garantit pas. Les cotisations de l’employeur sont toutefois fixes. Si le fonds est déficitaire, les prestations sont ajustées en conséquence. En d’autres mots, le partage de risque ne se fait pas entre l’employeur et l’employé·e, mais entre les employé·e·s et les retraité·e·s. En effet, les cotisations de l’employeur demeurent fixes en tout temps. Si les rendements ne sont pas à la hauteur des besoins, les participants peuvent choisir de hausser leurs propres cotisations ou de réduire les prestations de ceux et celles qui en reçoivent déjà.

Le véritable coût des RCD

Une opinion répandue considère que les régimes à prestations déterminées sont plus coûteux que les régimes à cotisations déterminées. Par conséquent, on considère souvent que les RCD constituent une manière plus efficiente d’offrir des régimes de retraite aux salarié·e·s d’une entreprise. Cet avis repose sur l’idée que, les prestations des RPD étant garanties à vie, les risques associés à la longévité des prestataires représentent un lourd fardeau pour les fonds qui gèrent ce type de régime. Qui plus est, comme la pyramide des âges s’inverse progressivement au Québec et au Canada et qu’il y a de moins en moins de travailleurs et de travailleuses pour soutenir les personnes à la retraite, plusieurs en déduisent que les RPD peuvent difficilement être viables à long terme. Bien que les risques soient portés majoritairement par les employeurs (qui doivent généralement assumer une plus grande part d’un éventuel renflouement d’une caisse de retraite insuffisamment capitalisée), leur incapacité à garantir un financement adéquat des régimes aurait immanquablement un impact négatif sur les retraité·e·s actuel·le·s et futur·e·s. C’est ce raisonnement qui a entraîné un nombre grandissant de milieux de travail à mettre en place, ou à transitionner vers, des RCD – ou des REER collectifs, soit des REER offerts par les employeurs dans lesquels ils cotisent généralement (mais pas nécessairement). Dans ces régimes, les risques associés à la capitalisation sont portés uniquement par les salarié·e·s puisqu’ils n’ont aucune garantie advenant une rente inférieure aux attentes. Certains analystes affirment de surcroît que le coût d’administration des RCD est inférieur à celui des RPD. Qu’en est-il vraiment ?

Une étude réalisée en 2008 puis reproduite en 2014 et en 2022 s’est penchée précisément sur cette question34. Selon les conclusions des auteurs, les RCD s’avèrent plus coûteux que les RPD, et ce, plus encore lorsqu’ils sont individualisés comme dans le cas des REER. Et pour cause, les RPD sont généralement des régimes de retraite de grande taille comprenant un nombre important d’adhérent·e·s qui ont l’avantage de la mutualisation des fonds. Cette mutualisation les rend plus efficaces de trois manières par rapport aux autres types de régimes.

  1. Les risques liés à la longévité sont contrebalancés par le grand nombre de participant·e·s au régime. S’il est vrai que l’espérance de vie augmente, rares sont les personnes qui vivent jusqu’à 100 ans et les RPD cumulent des réserves en fonction de l’espérance de vie moyenne des participant·e·s. Le travail actuariel permet de prévoir assez précisément les sommes requises pour que le régime soit viable pour le groupe pris dans son ensemble en fonction des estimations démographiques. Au contraire, comme les fonds associés au compte de chaque participant·e à un RCD sont retirés au moment de la retraite, il n’est pas possible de bénéficier de l’équilibre créé par le grand nombre de participant·e·s. Comme la personne qui prévoit sa retraite ne sait pas où elle se trouve dans la courbe normale de l’espérance de vie, elle doit épargner pour elle-même un montant plus important afin de couvrir un maximum de scénarios. Les autres cotisant·e·s doivent procéder de la même façon, individuellement. Cela fait augmenter le coût d’une rente adéquate de 2,3 %.
  2. La stabilité du régime permet d’avoir un portfolio équilibré en tout temps. L’horizon d’investissement des RPD est beaucoup plus long, puisque les comptes ne sont jamais « décaissés ». En effet, l’argent de l’ensemble des participant·e·s est géré mutuellement et les prestations sont versées à partir du fonds collectif. Cela permet de maintenir, en tout temps, un équilibre entre les placements les plus risqués et les plus sécuritaires. Les régimes peuvent ainsi se permettre d’absorber davantage de fluctuations au chapitre du rendement. Au contraire, dans les RCD, puisque les fonds économisés par un individu ont un impact direct sur la capacité de cet individu de bénéficier d’une rente adéquate à la retraite, les cotisant·e·s doivent privilégier une approche plus prudente pour éviter les pertes liées à un marché en baisse, particulièrement à l’horizon de la retraite. Par conséquent, ils doivent réduire la proportion des investissements plus risqués (qui sont aussi les plus rentables à moyen et à long termes). Les coûts supplémentaires pour les RCD calculés par les auteurs se situent à 3,8 %.
  3. Les coûts d’administration du régime sont moins élevés en comparaison avec les régimes individuels. Les RPD (et les RCD liés à un milieu de travail) ont des coûts de gestion beaucoup plus faibles que les régimes individualisés tels que les REER en raison de l’économie d’échelle que permet la gestion collective des fonds. De plus, la qualité des placements et des choix des gestionnaires de fonds varie fortement au sein des régimes individualisés. Ces coûts et ces décisions ont des effets qui s’accumulent sur l’ensemble d’une carrière. Ils entraînent un coût supplémentaire substantiel que l’étude évalue à 13,9 %.

Ces trois éléments combinés, illustrés au graphique 8, doublent le coût d’une rente de même niveau provenant d’un RCD individuel par rapport à un RPD. Ils augmentent aussi de 38 % le coût d’un RCD classique35. Ainsi, afin d’obtenir un revenu adéquat à la retraite, une personne qui n’a accès qu’à un RCD (ce que sont, entre autres, les régimes volontaires d’épargne-retraite et les REER) devra accumuler beaucoup plus de capital dans son fonds de pension. Avec un RCD, l’employeur se dégage de toutes responsabilités. De plus, il impose un poids supplémentaire à ses employé·e·s, les forçant dans certains cas à doubler leur épargne dans l’espoir d’obtenir un revenu décent au moment où ils prendront leur retraite. D’un point de vue tant collectif qu’individuel, il serait bien plus rentable que tous ces régimes d’épargne soient mutualisés.

Les RVER à la rescousse ?

En 2013, en réponse au faible taux de couverture des RPA, la Loi sur les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER) a été adoptée au Québec36. Créée en réponse au manque d’adhésion aux régimes de retraite complémentaires, elle oblige les entreprises comptant cinq employé·e·s et plus à offrir ce type de régime s’il n’y en a pas d’autre offert. La responsabilité des employeurs se limite à choisir l’administrateur du régime et à y inscrire leurs employé·e·s. Leur cotisation est optionnelle. De leur côté, les travailleurs et travailleuses y adhèrent automatiquement, mais peuvent choisir de s’en retirer s’ils le désirent. En gros, le gouvernement a choisi une façon d’améliorer la situation qui est très peu contraignante pour les employeurs, et peu avantageuse pour les employé·e·s. L’incitatif à cotiser demeure marginal puisque le résultat serait sensiblement le même avec un REER, sur lequel l’adhérent·e aurait néanmoins un peu plus de contrôle. Depuis 2019, la cotisation minimum est de 4 %. Un des avantages des RVER est qu’ils ont été conçus pour se transférer facilement en cas de changement d’employeur.

Il est difficile de tracer un bilan complet des RVER. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail, qui doit veiller à ce que les employeurs offrent effectivement les RVER, ne tient pas de comptabilité officielle et ne fait de vérifications que lors de plaintes. Il est donc impossible de connaître le taux de conformité de l’offre de RVER. Les régimes doivent être enregistrés auprès de Retraite Québec, qui tient les statistiques annuelles du taux d’adhésion, mais sans faire de recensement sur les taux perçus, la participation des employeurs ou les caractéristiques des personnes qui y adhèrent. Finalement, l’Autorité des marchés financiers est l’organisme qui autorise les institutions financières à offrir les régimes. Ce sont donc trois entités différentes qui assurent le bon fonctionnement des RVER, mais sans qu’une d’elles ne prenne la responsabilité d’assurer activement un suivi.

Lors de la mise en place de ce régime, le gouvernement disait viser deux millions d’employé·e·s sans régimes complémentaires, dont un peu plus de la moitié étaient des travailleurs et travailleuses autonomes ou des personnes travaillant dans des entreprises de moins de cinq employé·e·s, donc des milieux de travail non visés par la loi. Comme on peut le voir au tableau 3, la popularité des RVER est loin d’être au rendez-vous. En 2021, moins de 5 % des travailleurs et travailleuses visé·e·s adhéraient à un RVER.

Épargne individuelle (REER, CELI, immobilier, etc.)

Un troisième pan des revenus à la retraite est formé de l’épargne personnelle. On retrouve, grosso modo, trois grands blocs dans cette catégorie : les régimes d’épargne-retraite individuels (REER, CELI), l’épargne privée et les investissements immobiliers.

Les REER et les CELI sont des comptes d’épargne qui permettent de déplacer des sommes d’argent d’une année à une autre en évitant la double imposition. Dans le cas des REER, les sommes déposées sont retranchées du revenu imposable de l’année courante et seront imposées lorsqu’elles seront retirées à la fin de la vie active. Pour les CELI, c’est le contraire qui s’applique. L’impôt est payé sur le coup, mais les retraits, possibles en tout temps, ne sont pas imposables. Un plafond de cotisations est imposé pour ces deux types de comptes. Dans le cas des CELI, on peut cotiser jusqu’à un maximum de 6500 $ par année à partir de 2023. Quant aux REER, dont l’objectif est de verser des prestations à la retraite, le maximum de cotisation est fixé selon le niveau de revenu. Le plafond de cotisation représente 18 % du revenu de l’année précédente, jusqu’à concurrence d’un montant d’environ 30 000 $. Dans les deux cas, les droits de cotiser sont rétroactifs : on peut ajouter plus d’argent dans ces comptes d’épargne si on n’a pas maximisé les dépôts les années précédentes. Toutefois, plusieurs cotisations à d’autres régimes de retraite, notamment à un RPA ou à un RVER, sont incluses dans le calcul des cotisations aux REER37. Pour simplifier, on pourrait prendre l’exemple d’une personne qui a un revenu de 100 000 $ et dont le potentiel d’épargne pour la retraite est de 18 000 $. Si elle a accès à un régime de retraite dans le cadre de son emploi et que son employeur et elle y cotisent 8 000 $, sa limite pour les REER sera de 10 000 $38.

Les REER ont d’abord été mis en place en 1957 pour permettre aux travailleurs et travailleuses autonomes et aux personnes n’ayant pas d’employeur d’avoir accès à un régime de retraite. Un changement s’est opéré en 1990 avec la hausse substantielle des plafonds de cotisations et la possibilité d’utiliser les droits acquis des sept dernières années. Depuis 1996, les droits acquis n’ont plus de limites rétroactives. Ces changements s’accompagnent de campagnes publicitaires faisant la promotion de ce type d’épargne pour tous les travailleurs et travailleuses. Les REER ne sont plus un régime pour les personnes n’ayant pas de régimes collectifs, mais deviennent plutôt un complément pour toutes les personnes visant une retraite confortable. Les données sur les REER ne sont disponibles qu’à partir de l’année 2000. On peut néanmoins voir une légère augmentation de la proportion de la population possédant un tel régime dans le graphique 9. La proportion de personnes possédant des actifs dans des REER passe de 55 à 59 % en 20 ans. Toutefois, le pourcentage de personnes cotisant à des REER demeure relativement stable. Année après année, c’est environ le quart des contribuables qui met de l’argent de côté dans de tels comptes.

Cependant, si le discours encourage la participation à un REER pour l’ensemble de la main-d’œuvre, la répartition des cotisant·e·s et des cotisations par quintiles de revenus permet de voir que les personnes qui ont plus de moyens sont celles qui y participent le plus. Le graphique 10 montre que moins du quart des personnes dans le premier quintile (les plus bas revenus) détient des actifs dans des REER, un pourcentage qui est de 90 % pour le dernier quintile (les plus hauts revenus).

Le graphique permet également de voir le grand écart entre la médiane et la moyenne des actifs par quintile. La médiane représente le montant au milieu de la distribution et sépare le groupe en deux. On remarque que la moitié de la population qui possède un REER y détient un montant inférieur à 40 000 $. Comme la moyenne est plus du triple, on comprend que les actifs sont distribués de manière très inégales entre les personnes. Ces cas extrêmes se retrouvent dans chaque quintile. Dans le cas du dernier quintile, donc celui composé des personnes les plus riches, l’écart est de plus de 125 000 $ entre la moyenne et la médiane.

Les données de l’Enquête sur la sécurité financière permettent de voir la répartition des sommes accumulées dans les comptes de REER. Afin de pouvoir s’acheter une rente viagère qui complétera les revenus à la retraite à un taux de remplacement de 70 %, une personne ayant droit aux prestations maximales du RRQ, mais aucun autre régime complémentaire, devra avoir accumulé 500 000 $ dans ses REER. Cette somme est inaccessible pour une large partie de la population. Le graphique 11 montre clairement que, non seulement l’ensemble des personnes en marge de la retraite n’ont pas accumulé d’actifs dans les REER, mais seulement une faible minorité arrive à de tels niveaux d’épargne.

Si la résidence principale est un actif qui permet une certaine sécurité financière en vue de la retraite, il faut se demander si cette source de revenus est vraiment accessible à tous. Nous présentons au tableau 4 les données de trois sources d’épargne importantes selon le quintile de revenu. On remarque que le pourcentage de la population qui possède sa résidence principale est semblable à celui possédant des comptes de REER ou de RPA, peu importe le niveau de revenu. Ainsi, les personnes dans le premier quintile sont peu nombreuses à avoir de l’épargne, tant sous forme de REER (22,7 %) et de RPA (13,9 %) que de résidence principale (20,2 %). Elles doivent donc compter sur un nombre restreint de sources de revenus. Au contraire, les personnes composant les 20 % les plus riches ont presque toutes un compte REER, un RPA et une résidence principale.

Si on se concentre sur les comptes d’épargne en vue de la retraite (CELI, RPA et REER), le tableau 5 permet de voir quel pourcentage de la population de différents niveaux de revenus possède un ou plusieurs comptes d’épargne. Moins du quart (24 %) des personnes gagnant moins de 30 000 $ ont contribué à au moins un compte d’épargne, alors que presque toutes les personnes avec un revenu de plus de 100 000 $ (94,6 %) ont contribué à un tel compte. Sans surprise, ce sont aussi les personnes les plus riches qui sont les plus nombreuses à avoir contribué à plus d’un type de compte. En effet, le tiers d’entre elles a fait une contribution dans chacun des types en 2021.

Retraite et sécurité financière

La Régie des rentes du Québec a publié en 2010 un rapport sur l’état des retraites au Québec. En colligeant des données de différentes sources, elle tentait d’évaluer le potentiel de la population à économiser assez pour la retraite selon quatre niveaux :

  1. Potentiel fort : regroupe les personnes ayant un régime de retraite à prestations déterminées fort, ce qui garantit des rentes de retraite prévisibles et stables durant toute la période.
  2. Potentiel moyen : regroupe les personnes ayant un régime à prestations déterminées moins robustes, les adhérent·e·s à un autre type de RPA ainsi que les personnes n’ayant aucun RPA, mais avec plus de 100 000 $ d’actifs dans leurs REER.
  3. Potentiel faible : regroupe les adhérent·e·s à un REER collectif et les personnes qui n’ont pas de RPA et dont les actifs dans leurs REER sont sous les 100 000 $.
  4. Potentiel nul : regroupe les personnes n’ayant aucune couverture.

Ces estimations étaient basées essentiellement sur le type de régime ou d’épargne détenu par les personnes concernées et faisaient état du potentiel seulement, et non de l’atteinte de revenus suffisants effectifs. Par exemple, une personne cotisant dans un RPD est réputée avoir un potentiel fort, mais on ne sait rien du nombre d’années de cotisation nécessaire pour qu’elle parvienne à économiser suffisamment ni du niveau de prestations qu’elle toucherait. Le portrait de 2010, reproduit au graphique 12, présentait des résultats inquiétants : plus du tiers (38 %) de la population n’avait aucune couverture au-delà des régimes publics et seulement le quart de la population (27 %) pouvait se rassurer en sachant que son potentiel était fort.

Nous avons repris cette méthodologie pour voir où en était le marché 10 ans plus tard. Le résultat se trouve au graphique 13. On note tout de suite la réduction importante du nombre de personnes sans couverture, dont la proportion a diminué de plus de la moitié. La majorité de ceux et celles qui n’avaient pas de couverture semble avoir atteint un potentiel faible, sans qu’il y ait d’effet domino vers les autres catégories. Il y a bien une légère augmentation du potentiel moyen, mais elle est bien moindre que celle du potentiel faible et la proportion de la population ayant un potentiel fort est restée stable. Bref, la situation s’est améliorée légèrement, mais la couverture reste de mauvaise qualité pour une large part de la population.

L’un des grands changements qui expliquent la diminution du nombre de personnes sans couverture est la mise en application de la loi instaurant les RVER. Bien que le taux d’adhésion de la population visée n’est que de 5 %, l’objectif de la loi était aussi d’encourager les milieux de travail à offrir n’importe quelle forme de régimes collectifs. La diminution du nombre de personnes sans couverture peut attester, en partie, d’un certain succès des RVER. Cela étant dit, s’il est vrai que le taux de couverture a été amélioré au bas de la distribution, la réussite est mitigée par la faible qualité des régimes ajoutés. On a réussi tout au plus à donner un potentiel faible à des personnes qui n’avaient aucune couverture, sans garantir un niveau de revenu adéquat ni permettre une répartition des risques adéquate. Les personnes qui se retrouvent dans la catégorie « potentiel faible » sont en effet à la merci des fluctuations du marché, de leur capacité à épargner et de leur propre longévité.

D’après Statistique Canada, les ménages québécois parviennent, en moyenne, à économiser environ 5 % de leurs revenus39. Si ce taux a augmenté durant la pandémie, il est redescendu depuis et les prévisions d’épargne pour 2023 se situent autour de 3 %40. Cette épargne sert à la fois à investir en vue de la retraite, à prévoir de grosses dépenses à venir (études, rénovations, déménagement, etc.) et à mettre de côté de l’argent pour répondre aux imprévus. Même si l’ensemble de cette somme était utilisée pour cotiser dans les REER, ce qui serait surprenant et peu recommandé, on serait loin du maximum prévu par la loi pour la grande majorité des personnes. De plus, rappelons que l’endettement des ménages continue d’atteindre des niveaux préoccupants chaque année. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada se place en deuxième position des pays avec le plus haut taux d’endettement des ménages du G7. Le taux d’endettement, calculé en fonction du revenu net disponible, se situe à 185 %. Le Danemark est le seul qui dépasse le Canada, avec un taux de 255 %. Dans ce contexte, la capacité de dégager de l’argent pour investir dans sa retraite peut être plus ardue, voire impossible dans certains cas.

Pour les ménages âgés, on voit également une hausse du stress financier. Alors que les personnes âgées au Québec avaient plutôt tendance à n’avoir aucune dette en 1999, elles sont près de la moitié en 2019 à en avoir (graphique 14). De plus, la valeur des dettes a également beaucoup augmenté, particulièrement du côté de la dette non hypothécaire (marge de crédit, carte de crédit, prêt automobile, etc.) dont la valeur médiane a presque doublé en 20 ans41.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les données sur les RVER sont difficiles à obtenir puisque aucun organisme ne les collige. Toutefois, plusieurs témoignages laissent croire que les cotisations de la part des employeurs sont rares, reportant la responsabilité financière de la retraite sur les épaules des travailleurs et travailleuses dont le pouvoir d’achat et le potentiel d’épargne demeurent faibles, même avant la hausse fulgurante de l’inflation de 2022. Rappelons en effet que, comme nous l’avons vu au tableau 4, moins de 15 % de la population du premier quintile a des actifs dans un RPA, un pourcentage qui grimpe à 77,3 % pour le dernier quintile. L’écart est similaire pour les REER. Bref, ce sont les personnes les plus pauvres qui sont le plus mal couvertes en vue de la retraite et à qui s’adressent d’abord les RVER. Ces régimes s’apparentent à des RCD en ce sens qu’il n’y a aucune garantie de prestations pour la retraite. Les risques sont alors entièrement assumés par les individus qui doivent composer avec les rendements fluctuants, un coût de la vie à la hausse et une longévité difficile à prévoir.

Travail et retraite

Bien que les régimes d’employeur et l’épargne individuelle aident à compléter les revenus des programmes publics, ils ne sont pas accessibles à l’ensemble de la population âgée. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, il y a d’importants avantages économiques à retarder le versement de la PSV et du RRQ. Pour ces raisons, il n’est pas étonnant que le travail puisse être à présent considéré comme le « quatrième pilier » de la retraite par des actuaires du RRQ42. Par ailleurs, le prolongement de la vie active est encouragé par les politiques publiques, tant au fédéral qu’au provincial43. Cette section vise à étudier certaines dynamiques relatives à l’emploi des personnes âgées et leur lien avec les politiques publiques. Nous présentons pour ce faire en premier lieu des statistiques sur le travail des personnes âgées. Par la suite, nous observons la baisse de la contribution de l’État à la réduction des inégalités pour cette population. Cette baisse peut s’interpréter comme un désengagement de l’État à soutenir le revenu des personnes aînées, préférant les encourager à retourner sur le marché du travail afin qu’elles bonifient leur revenu par elles-mêmes.

Notons en préambule que, depuis plusieurs années, le travail à l’approche de l’âge de la retraite change de forme. Pour certain·e·s, il s’agit d’un départ progressif du marché du travail, d’une transition vers l’emploi à temps partiel, d’un changement de statut d’emploi vers celui de travailleur ou travailleuse autonome ou encore d’un retour sur le marché du travail à la suite d’une période d’inactivité plus ou moins longue. La retraite ne consiste donc plus en la sortie définitive du marché du travail après y avoir passé plusieurs années. Elle est plutôt considérée comme une période dynamique et protéiforme44. Il devient donc complexe de parler d’« âge moyen de la retraite ». Parle-t-on alors de l’âge à partir duquel on commence à recevoir des prestations publiques ? De celui où l’on arrête de travailler à temps plein ou selon un horaire régulier ? Ou encore, est-ce l’âge où l’on se retire complètement du marché du travail ?

Pour le Québec, l’âge moyen de la retraite fait souvent référence à la moyenne d’âge des nouveaux prestataires du RRQ. Ces données, présentées au graphique 15, pourraient faire croire que les gens quittent le marché du travail en moyenne autour de 62 ans, une statistique stable depuis plus de 20 ans.

Ce chiffre ne prend toutefois pas en considération le nombre de personnes qui disent quitter le marché du travail, leur statut réel d’emploi ou leur potentiel retour au travail. Il s’agit de l’âge moyen des gens qui ont commencé à toucher leurs rentes de retraite cette année-là, rien de plus. En d’autres mots, l’âge moyen de la retraite ne dit rien du statut réel de l’emploi pour chaque groupe d’âge. Les données de Statistique Canada brossent un autre portrait, poussant l’âge moyen de la retraite à 63,7 ans, en croissance constante depuis 15 ans (graphique 16).

Une autre manière d’aborder l’âge de la retraite est de prendre des individus d’une cohorte et de leur demander quand ils estiment prendre leur retraite. C’est ce qui est présenté au graphique 17. Il en résulte que la majorité des personnes en emploi de 45 ans et plus (60,2 %) visait une retraite à 65 ans ou plus.

Un article scientifique récent45 permet un nouvel éclairage sur la durée de la vie active. En analysant l’évolution du taux d’emplois et du nombre d’heures travaillées tout au long du cycle de vie, les chercheurs parviennent à la conclusion que, au contraire des préjugés véhiculés, le ratio entre la vie active et la durée de la retraite est demeuré relativement stable depuis 1981.

Regardons maintenant le taux d’emploi pour les travailleurs et travailleuses âgé·e·s. Le graphique 18 permet de voir l’évolution de ce taux de 1976 à 2022.

On observe une tendance particulière « en U » du taux d’emploi de ces travailleurs et travailleuses. Cette tendance est caractérisée par trois périodes : une baisse considérable du taux d’emploi de 1976 jusqu’au début des années 1990, suivie d’une relative stabilité jusqu’à la fin des années 1990, puis une augmentation continue à partir du début des années 2000. À la vue de ce graphique, il semble évident que les travailleurs et travailleuses arrêtent de travailler de plus en plus tard. Plusieurs facteurs46 peuvent expliquer ce changement. D’une part, il y a l’évolution démographique. Les personnes âgées sont non seulement en meilleure santé qu’avant, elles sont également plus éduquées, deux facteurs déterminants du maintien en emploi. Cependant, des facteurs économiques entrent également en jeu. Comme nous l’avons vu plus haut, les régimes publics ne suffisent pas à garantir un revenu adéquat et les RPA ne sont ni assez répandus ni d’une générosité suffisante pour répondre à tous les besoins. Le travail devient alors un moyen pour pallier l’absence de régime d’employeur, ou un régime d’employeur inadéquat.

À cela, il faut ajouter l’influence des politiques publiques sur le maintien à l’emploi des travailleurs et travailleuses âgé·e·s. En effet, on constate l’impact de ces décisions politiques à deux moments clés. Dans les années 1980 et 1990, alors que le Québec connaissait une période de haut taux de chômage et que les marchés financiers étaient performants, la tendance était d’encourager une retraite hâtive47. On se rappellera, entre autres, le slogan publicitaire « Liberté 55 » qui faisait miroiter une vie de loisirs dès 55 ans, ou alors le programme de retraite anticipée mis en place par le gouvernement du Québec en 1997. En incitant les employé·e·s les plus âgé·e·s à partir à la retraite, on espérait ouvrir des postes pour les plus jeunes, tout en se débarrassant d’une main-d’œuvre coûteuse en raison de son ancienneté. Ces choix législatifs contrastent avec les décisions récentes qui cherchent à retenir cette même catégorie de travailleurs et de travailleuses. Il faut dire que la conjoncture a beaucoup changé. Le taux de chômage très faible, le nombre élevé de postes vacants dans plusieurs secteurs et le vieillissement de la population font craindre que de moins en moins de personnes soient en âge de payer les taxes et les impôts nécessaires au financement des services publics.

Depuis 2010, le Québec s’est doté d’une politique dite de « vieillissement actif48 » qui vise à orienter les politiques publiques destinées aux personnes âgées, dont les politiques incitatives à l’emploi. L’un des exemples les plus marquants de ce type de politiques est la mise en place en 2012 du crédit d’impôt pour prolongation de carrière, qui a été bonifié chaque année entre 2015 et 2019 tant sur le plan de sa générosité que celui de l’élargissement de son admissibilité. Autrefois uniquement offert aux personnes de 65 ans et plus, il concerne aujourd’hui tous les travailleurs et les travailleuses âgé·e·s de 60 ans et plus. Le tableau 6 met en évidence ces diverses modifications49.

Nous présentons au graphique 19 l’évolution de la dépense fiscale associée au crédit pour prolongation de carrière. En raison à la fois de la croissance du montant maximal offert et de la grande utilisation de la mesure, le coût a augmenté rapidement, avant d’atteindre un plateau. Ces dernières données sont des projections qui paraissent étonnantes puisqu’elles voudraient dire qu’il n’y aurait pas eu d’augmentation du nombre de personnes qui utiliserait cet incitatif à rester sur le marché du travail alors que le taux d’emploi des personnes à qui la mesure est destinée a augmenté.

Outre ce crédit, de nombreux changements ont également été entrepris, agissant tant sur l’offre que sur la demande de travail, soit pour aider financièrement les entreprises qui maintiennent des personnes expérimentées à l’emploi, soit pour soutenir les revenus de celles et ceux qui restent sur le marché du travail après un certain âge. Afin de rendre le travail plus attractif, le RRQ a été adapté de plusieurs manières. Par exemple, en 2014, le mécanisme de pénalité et de bonifications a été ajusté pour augmenter le coût d’une retraite hâtive et les avantages du report de la retraite. La même année, le régime a permis la combinaison des rentes de retraite et des revenus du travail. Avant la réforme, le fait de décider de recevoir une rente du RRQ signifiait avoir complètement arrêté de travailler, ou alors avoir une entente officielle de réduction d’heures avec son employeur50. Avec le supplément à la rente de retraite, il est maintenant possible de recevoir sa prestation acquise du RRQ et de lui ajouter une somme en fonction des cotisations supplémentaires payées en tant que travailleur ou travailleuse âgé·e.

Comme nous l’avons vu plus haut, dans de nombreux cas, les revenus standards à la retraite (prestations publiques, régime de retraite, épargne personnelle, etc.) ne suffisent pas pour garantir une vie hors de la pauvreté. Le taux de pauvreté des aîné·e·s demeure préoccupant et la société québécoise a une responsabilité d’améliorer la situation. Il est vrai que le vieillissement en santé permet à une part de la main-d’œuvre de rester au travail plus longtemps, et que le besoin de se sentir utile explique pour certaines personnes âgées la volonté de rester ou de retourner sur le marché du travail. Toutefois, les considérations pécuniaires ne sont pas à ignorer. Ce sont en effet les personnes les plus pauvres qui pensent reporter la retraite au-delà de l’âge légal (graphique 20). De plus, en 2018, selon l’Enquête sur la population active, « la moitié des personnes âgées de 60 ans et plus qui ont travaillé ou souhaitaient travailler au cours de l’année précédente l’a fait par nécessité51 », c’est-à-dire afin de payer des dépenses essentielles telles que l’essence, l’hypothèque ou la nourriture. Ce pourcentage est encore plus élevé chez celles et ceux n’ayant pas de diplôme universitaire, une catégorie de personnes gagnant typiquement moins.

Il s’agit d’un aspect souvent négligé, mais la contribution des personnes âgées à la société est un apport considérable. De par leur disponibilité et leur situation d’épargne traditionnellement plus avantageuse, elles participent à une redistribution de ressources entre les générations, que ce soit en don de temps ou d’argent. Elles composent une large part des bénévoles qui soutiennent les groupes communautaires et les initiatives populaires et sont nombreuses à être des proches aidants, que ce soit auprès de leurs proches vieillissants, de leurs enfants ou d’un autre membre de leur entourage. Ce rôle historique de soutien social s’érode quand les aîné·e·s n’ont pas les moyens de s’investir dans leur communauté. La pauvreté et la pression vers le retour ou le maintien au travail limitent leur pouvoir d’action et de transmission et cela est une perte pour l’ensemble de la société.

Inégalités et vieillesse

Nous examinerons maintenant les inégalités que vivent les personnes âgées, en les comparant entre elles et par rapport à l’ensemble de la population. La pauvreté n’est pas simplement une question d’accès aux ressources, mais est une partie importante des déterminants sociaux de la santé. Ainsi, lorsque les revenus sont insuffisants, il est plus difficile de vieillir en santé et dans un milieu sain. Dans un contexte de vieillissement de la population, il devient d’autant plus important de se pencher sur les institutions accessibles aux aîné·e·s, les ressources financières mises à leur disposition et les services de soin et de soutien qui leur permettent de vivre de façon autonome le plus longtemps possible.

Bien que notre étude porte principalement sur les personnes âgées qui ont droit à une rente de retraite, nous présentons également la situation de celles qui ont été exclues du marché du travail, volontairement ou non. Au Québec, il existe traditionnellement deux programmes principaux pour soutenir le revenu de ceux et celles qui ne travaillent pas et dont les ressources financières sont très faibles : l’aide sociale et la solidarité sociale. Le premier permet de soutenir les personnes qui sont considérées comme aptes à travailler, alors que le deuxième est conçu pour celles qui ont des contraintes sévères à l’emploi. Depuis janvier 2023, un troisième programme s’est ajouté, celui du revenu de base52, qui s’adresse aux personnes dont les contraintes à l’emploi sont permanentes. Pour être admissible à ce programme, il faut avoir perçu des prestations de la solidarité sociale pendant 66 des 72 derniers mois. Les prestations s’arrêtent à 65 ans, l’âge auquel les premiers versements de la PSV et du SRG peuvent être effectués. Le graphique 21 illustre le niveau de revenu accessible à travers ces programmes en comparaison avec la MPC. Deux constats s’imposent a priori. D’une part, aucun programme de soutien de dernier recours ne permet d’atteindre la MPC, pourtant une mesure de couverture de besoins. En d’autres mots, l’État ne donne pas les moyens aux personnes au bas de l’échelle de répondre à leurs besoins de base et les condamne à vivre dans la pauvreté. D’autre part, bien que les revenus combinés de la PSV et du SRG demeurent sous la MPC, ils sont considérablement plus élevés que les sommes versées à la majorité des personnes ayant recours à des prestations de dernier recours.

Des sommes supplémentaires liées aux prestations du RRQ peuvent également être versées à ces personnes. Toutefois, même si celles-ci souhaitaient retarder les premiers versements de leur rente, ce qui aurait pour effet d’en augmenter la valeur, la loi oblige les prestataires de l’aide sociale et de la solidarité sociale à utiliser tous les programmes de soutien au revenu disponibles. Ils sont ainsi contraints de retirer leurs rentes à 60 ans, peu importe leur situation ou leur volonté, ce qui représente une réduction de 36 % en comparaison à des rentes prises à 65 ans et limite leur capacité à améliorer leur situation financière pour leurs vieux jours.

Au graphique 22, nous présentons les données sur les taux de pauvreté calculés selon la MPC et la MFR-50 pour les années 2002v et 2020. La MPC, rappelons-le, est une mesure de couverture de besoins et représente le revenu nécessaire pour un panier de biens minimal. Il ne comprend pas les dépenses non discrétionnaires telles que les frais de santé non couverts par les assurances ou les frais de garde. Il s’agit donc d’un minimum. La méthodologie pour calculer la MPC est mise à jour environ tous les 10 ans. Le dernier rebasage date de 2018 et l’indicateur a été calculé à partir des données de 2015. Depuis, on observe une diminution d’environ 60 % de la population sous cette mesure, tant dans la population en âge de travailler que pour les 65 ans et plus. Cependant, le portrait est différent quand on considère plutôt la MFR-50, une mesure de pauvreté utilisée généralement pour les comparaisons historiques et internationales. En effet, alors que le taux de personnes de 18 à 64 ans sous la MFR-50 diminue d’environ 50 %, celui des personnes âgées de 65 ans et plus augmente. La tendance serait encore plus prononcée si on partait de 2000, alors que le taux de MFR-50 pour la population de 65 ans et plus était de moins de 10 %. Cela permet de mettre en évidence la différence entre la couverture de besoins et la pauvreté. L’année 2020 ayant été tout sauf normale, il sera intéressant de voir comment varieront ces chiffres dans les années suivantes.

Regardons maintenant le coefficient de Gini53. Cet indicateur nous permet à la fois de comparer l’écart entre les riches et les pauvres parmi les personnes de 65 ans et plus et par rapport à la population en âge de travailler.

Le graphique 23 présente l’évolution du coefficient de Gini après impôt des personnes âgées de 25 à 54 ans, de 55 à 64 ans et de 65 ans et plus. Ces trois groupes montrent l’évolution de l’écart entre la vie active, la fin de carrière et la retraite. Ce sont dans les années qui précèdent la retraite, alors que les salaires de fin de carrière côtoient les aides de dernier recours, que l’on observe les plus grands écarts de richesse. Au contraire, la retraite paraît être la période de la vie avec la plus grande égalité. La trajectoire des trois cohortes observées indique une une diminution des écarts à cette étape de la vie

Nous avons présenté dans cette section des chiffres qui concernent l’ensemble de la population aînée. Toutefois, il ne s’agit pas d’un groupe homogène. Lorsque les données sont analysées de façon intersectionnelle54, comme on le voit au graphique 24, la pauvreté accrue des femmes, des personnes appartenant à une minorité visible et de celles n’ayant aucun diplôme est encore plus apparente.

Comparaison internationale

Afin de comparer le Canada (et le Québec) avec d’autres systèmes de retraite, nous nous intéressons à deux autres pays présentant des logiques institutionnelles différentes. Nous présentons dans cette section le régime de retraite des États-Unis, au sein duquel l’initiative privée occupe une place prépondérante, et du Danemark, où l’intervention de l’État est centrale. Nous comparons ensuite les performances de ces systèmes en matière de protection du revenu des personnes âgées afin de tirer de potentielles leçons sur l’amélioration des conditions de vie des personnes à faible revenu.

Nous regarderons d’abord brièvement les caractéristiques des systèmes danois et états-unien afin de souligner les différences et les similarités avec le régime canadien. Chaque pays sera présenté en trois sections : les programmes publics, les régimes privés et le régime fiscal. Nous verrons ensuite quels systèmes sont les plus performants en examinant des indicateurs tels que les taux de faible revenu et le niveau des inégalités de revenu. Les données utilisées proviennent majoritairement du rapport international sur les retraites de l’OCDE publié en 2021 et se basent sur les taux de remplacement théoriques, c’est-à-dire sur le fonctionnement idéal des programmes de retraite dans les pays étudiés.

Danemark

Le Danemark a, comme le Québec et le Canada, une population vieillissante. Environ 20 % des personnes qui y vivent avaient 65 ans ou plus en 202255. Ses programmes de soutien au revenu à la retraite doivent donc couvrir un grand nombre de personnes. Néanmoins, il semble que le modèle danois fonctionne assez bien lorsque l’on prend en considération le taux de pauvreté de la population du pays. En effet, seulement 3 % des aîné·e·s vivent dans la pauvreté, taux calculé en utilisant la MFR-5056. Une des caractéristiques principales du système danois est d’avoir rendu les programmes d’employeur quasi obligatoires. Regardons maintenant comment se structure ce système.

Les programmes publics

Le régime danois est structuré de manière assez similaire à celui du Québec. On note quatre composantes principales : le régime public universel, le régime public contributif, les régimes privés contributifs et, finalement, l’épargne personnelle. Les deux premiers sont obligatoires : la pension sociale et l’assurance complémentaire liée au travail, l’Arbejdsmarkedets Tillægspension. Un mécanisme a été mis en place afin d’ajuster les régimes en fonction de l’espérance de vie. Ainsi, l’âge normal de la retraite de 65 ans a été repoussé à 67 ans en 2021 et devra être réévalué tous les 5 ans. Le mécanisme prévoit que chaque année gagnée en espérance de vie sera ajoutée à la vie active. En 2050, la retraite pourrait commencer légalement à plus de 71 ans selon cette façon de calculer qui semble ignorer les enjeux liés à la santé des personnes vieillissantes ou l’importance du rôle social des aîné·e·s dans la transmission entre les générations57.

La pension sociale est payée à partir du budget national, c’est-à-dire que les prestations proviennent des taxes et de l’impôt. Le montant de base est versé à toutes les personnes âgées ayant habité le Danemark depuis plus de 10 ans, à condition de ne pas recevoir des revenus de travail trop élevés. À cela s’ajoute un supplément de pension, fixé selon le revenu et la situation du ménage de la personne pensionnée (seule, en couple avec un·e pensionné·e ou en couple avec un·e non-pensionné·e). La pension sociale s’apparente à la PSV et au SRG, mais avec des prestations beaucoup plus importantes. Les prestations peuvent atteindre jusqu’à un peu plus de 32 000 $ CA par année pour une personne seule58.

Des compléments peuvent s’ajouter à la pension sociale. Par exemple, les médicaments sans ordonnance et le chauffage des retraité·e·s peuvent être financés, en partie, par l’État. Un supplément est également disponible pour les ménages à faible revenu (un peu comme le SRG au Canada)59.

À la pension universelle s’ajoute la pension complémentaire, l’Arbejdsmarkedets tillægspension (ATP). Il s’agit d’un régime de pension par capitalisation à caractère contributif, c’est-à-dire qu’il est financé par les cotisations obligatoires des employé·e·s (4 %) et des employeurs (8 %). L’ATP est versée à toutes les personnes ayant cotisé au régime et couvre la quasi-totalité de la population danoise. Tous les salariés à partir de 16 ans, travaillant au moins 9 heures par semaine, sont tenus de cotiser au régime ATP. Si son fonctionnement ressemble à celui du RRQ au Québec, il diffère d’une manière importante : les prestations sont établies en fonction du nombre d’heures travaillées et non du revenu obtenu. Tout comme notre régime de retraite, l’argent cotisé par la population danoise est investi et placé dans différentes initiatives afin de le faire fructifier tout en contribuant à l’économie nationale en attendant de le verser aux pensionnaires.

Le montant de la pension complémentaire dépend des cotisations versées par l’assuré·e tout au long de sa carrière, mais peut atteindre jusqu’à 5000 $ CA par année. Au total, lorsque toutes les sources de revenus sont combinées, cela permettait, comme l’illustre le graphique 25, des revenus de base d’un peu plus de 30 000 $ en 2015.

Les régimes privés

Il existe également un troisième palier géré par des fonds de pension complémentaires privés, mais rendu quasi obligatoire par l’État, l’ArbejdsMarkeds Pension. La majorité (environ 65 %) des salarié·e·s sont couverts60. Douze autres pays de l’OCDE ont fait le choix de régimes d’employeur obligatoires ou quasi obligatoires. Ceux-ci s’ajoutent aux programmes d’assistance de base et peuvent remplacer aussi peu que 7 % des revenus (Nouvelle-Zélande) et aller jusqu’à 52 % des revenus (Danemark), avec une moyenne de 30 %61. Au Danemark, les taux de cotisation sont négociés collectivement par les syndicats et les employeurs, mais rendus quasi obligatoires par l’État. Généralement, ils couvrent une panoplie de risques sociaux (dont la maladie, le handicap et les prestations aux survivants en cas de décès), sont financés selon des contributions différentes et l’adhésion est laissée au choix du ou de la bénéficiaire. Les travailleurs et les travailleuses autonomes ont généralement des revenus moindres à la retraite que leurs contemporain·e·s salarié·e·s. En effet, ces personnes ne sont pas couvertes par les fonds de pension quasi obligatoires, mais peuvent participer à un régime semblable si elles le désirent62.

La structure du système danois fait en sorte que la contribution des régimes publics décline rapidement au fur et à mesure que les travailleurs et travailleuses s’enrichissent pour laisser les régimes privés prendre la responsabilité des revenus de retraite. Le graphique 26 permet de voir la différence dans la composition des revenus à la retraite en fonction du pourcentage du revenu moyen gagné pendant la vie active. Le taux de remplacement provenant des régimes privés demeure stable à 50,5 %.

Au Danemark, il n’existe pas d’allègements fiscaux particuliers pour les personnes âgées ou retraitées63. Les revenus obtenus par l’intermédiaire d’un régime de retraite sont imposés au même titre que les autres types de revenus.

États-Unis

Regardons maintenant le système des États-Unis, un pays de grands contrastes, avec de grandes inégalités tant dans la distribution des revenus que dans l’accès aux services. Chaque État a ses particularités, ses programmes et ses lois qui offrent plus ou moins de protection sociale à sa population. Néanmoins, certaines grandes tendances se dégagent à l’échelle nationale. Les personnes âgées de 65 ans et plus composaient 17,1 % de la population en 202264. Selon le dernier recensement, le taux officiel de pauvreté pour ce groupe était de 10,4 %. Cependant, ce chiffre est calculé à partir d’une définition de la pauvreté utilisée seulement par les États-Unis et s’avère largement sous-estimé. En ayant recours à la MFR-50, on calcule que le taux de pauvreté atteint plutôt 23,1 % chez les aîné·e·s états-unien·ne·s, un taux 7 fois plus élevé qu’au Danemark et près du double de celui du Canada, mais relativement proche de celui du Québec. Est-ce à dire que les personnes âgées au Québec et aux États-Unis ont des conditions de vie similaires ? Avant de répondre à cette question, nous décrirons sommairement les programmes publics et privés de soutien au revenu des aîné·e·s aux États-Unis.

Les programmes publics

Les contribuables âgé·e·s bénéficient du programme Old Age and Survivors Insurance65 de la Social Security. Les bénéficiaires sont les personnes retraitées, les veufs et veuves et les enfants survivant·e·s admissibles. Pour recevoir des rentes de retraite, il faut avoir été employé pendant au moins 40 trimestres (10 ans) et avoir reçu un salaire au-delà d’un certain seuil. En 2021, celui-ci était de 1 470 $ par trimestre, l’équivalent de ce que rapporterait environ 5 heures de travail par semaine, au salaire minimum. Les cotisations, fixées à 12,4 %, sont versées à parts égales par les travailleurs et travailleuses et les employeurs66. Quant aux prestations, elles sont versées en fonction des cotisations et de l’historique de travail. Les premiers dollars cotisés permettent un taux de remplacement de 90 %, mais ce taux diminue à 15 % pour les cotisations sur les plus hauts revenus, jusqu’à un salaire maximal de 137 700 $ US.

Pour les personnes à faible revenu qui ne parviennent pas à atteindre un seuil minimal annuel de 9 346 $ US, il existe également une prestation, soit le Supplemental Security Income (SSI). Pour l’obtenir, les individus doivent posséder moins de 2000 $ US en patrimoine, excluant leur maison, leur voiture et un régime d’assurance. Les montants de cette prestation sont modulés selon le revenu et le patrimoine des individus ainsi que selon que le conjoint ou la conjointe est également admissible à la prestation. Le montant maximal atteint environ 17 à 25 % du salaire moyen national. Certains États ont des programmes complémentaires pour améliorer le revenu des personnes ayant droit au SSI.

Les pensions privées

Aux États-Unis, certains fonds de pension collectifs sont mis en place, en général par des grandes entreprises, mais l’adhésion peut également se faire de façon individuelle.

Les régimes collectifs comportent les régimes à prestations déterminées (« defined benefit plans ») et les régimes à cotisations déterminées (« defined contribution plans »). Les 401(k), régimes nommés en l’honneur du code fiscal qui leur est attribué, sont sans doute les régimes de retraite les plus populaires et sont relativement semblables à un REER collectif67.

L’autre forme de retraite par capitalisation relève de l’initiative individuelle. Il s’agit d’un système permettant d’ouvrir des comptes de retraite individuels, ou Individual Retirement Arrangements. Les cotisations versées dans ces comptes peuvent être totalement ou partiellement déductibles du revenu aux fins de l’impôt.

Le régime fiscal

Les personnes âgées de 65 ans et plus bénéficient d’une déduction supplémentaire de l’impôt sur le revenu fédéral (en 2021, elle était de 14 050 $, par rapport à 12 400 $ pour les moins de 65 ans)68.

Par ailleurs, les rentes des pensions publiques peuvent être partiellement exemptées d’impôt, selon le revenu du contribuable, mais cela semble varier selon l’État.

Les différences et les ressemblances avec le Canada

En résumé, on constate que la situation du Danemark et celle des États-Unis sont très différentes. Le Danemark présente des institutions davantage orientées vers l’universalité et l’État intervient fortement dans le secteur privé afin d’obliger les entreprises à fournir des régimes à leur personnel. Les mesures fiscales particulières sont un outil très peu utilisé, voire pas du tout utilisé par le gouvernement danois pour redistribuer de l’argent aux personnes âgées. Aux États-Unis, il n’existe pas de programme universel pour la retraite. Toute rente, qu’elle soit publique ou privée, dépend du fait d’avoir travaillé, bien qu’un programme de prévention de la pauvreté permette d’améliorer légèrement la situation des plus pauvres. Par conséquent, le revenu à l’âge de la retraite dépend grandement de la responsabilité individuelle, du parcours professionnel et de la capacité à épargner.

D’après les données de l’OCDE, le Canada et le Québec font à peine mieux que les États-Unis avec leurs programmes obligatoires de soutien des revenus à la retraite (graphique 27). Alors que le Danemark permet de remplacer jusqu’à 125 % des revenus des personnes recevant un revenu équivalent à la moitié du salaire moyen, ce taux n’est que de 53 % pour le Canada et de 50 % pour les États-Unis. Ces deux pays se retrouvent sous la moyenne de l’OCDE, qui est de 65 %. L’écart est encore plus grand pour les aîné·e·s ayant eu un revenu représentant le double du salaire moyen. Le remplacement public canadien est alors à 22 %, le plus bas entre les 3 pays étudiés, ce qui représente la moitié de la moyenne de l’OCDE (44 %). Le Danemark se distingue fortement et se trouve au premier rang de l’OCDE pour le taux de remplacement des revenus représentant la moitié du salaire moyen (125 %) et au deuxième rang après le Brésil pour le taux de remplacement des revenus équivalant à un salaire moyen (80 %).

Un autre aspect à prendre en compte dans cette comparaison est le taux de couverture des programmes, c’est-à-dire le pourcentage de la population qui a accès à ces prestations. Les données précédentes sont en effet des estimations théoriques, prenant en considération les modes de fonctionnement des différents systèmes. Or, s’il existe des programmes pour, théoriquement, compenser les revenus des aînés, cela ne veut pas dire qu’ils sont facilement accessibles ou que les prestations maximales potentielles sont celles qui sont versées.

Certaines données présentées dans le tableau 7 permettent de formuler des hypothèses quant aux différences de performance de la protection du revenu des aîné·e·s des trois pays. On peut effectivement voir que, si le Canada et les États-Unis présentent des taux de remplacement des régimes publics similaires, le taux de couverture de ces régimes est plus élevé au Canada qu’au sud de la frontière. En revanche, les régimes privés collectifs couvrent davantage de personnes (67,9 %) aux États-Unis qu’au Canada (53 %). De fait, la quantité de dépenses publiques et privées est légèrement supérieure aux États-Unis, ce qui indique que la majorité des dépenses s’effectue vraisemblablement, au vu du taux de faible revenu et des inégalités, aux personnes qui ne sont pas à faible revenu.

Les dépenses publiques pour la retraite sont deux fois supérieures (sans compter les allègements fiscaux) au Danemark comparativement au Canada, et les dépenses privées, plus de la moitié. Avec une combinaison de taux de remplacement du revenu des personnes à bas salaire très élevé et une couverture quasi universelle, le modèle danois s’avère extrêmement efficace pour lutter contre la pauvreté des aîné·e·s, leur taux de faible revenu s’élevant à seulement 3 %. Le Danemark consacre globalement un peu plus de ressources (12,2 % de son PIB) que le Canada (10,7 %) pour soutenir le revenu des aîné·e·s, avec des résultats beaucoup plus efficaces, ce qu’indique le faible niveau d’inégalités de revenu dans l’ensemble de la population.

Cette façon de faire a une incidence sur les taux de pauvreté des aîné·e·s. Bien que les États-Unis soient le pays avec le plus important taux de pauvreté dans le tableau 8, il est également le seul pays où les inégalités de revenu, calculées selon le coefficient de Gini, diminuent dans la population âgée par rapport à la population totale. Celui-ci demeure tout de même plus élevé qu’ailleurs, le pays vivant avec des écarts de richesse marqués. Une autre différence majeure avec les États-Unis est la « profondeur » de la pauvreté. Celle-ci est calculée par la distance entre le niveau de revenus des personnes pauvres et le seuil de pauvreté. Alors que les personnes plus défavorisées ont un revenu 15 % plus bas en moyenne que la MFR-50 au Canada et au Danemark, cet écart est de 38,2 % aux États-Unis69.

Ainsi, la population âgée du Danemark présente un très faible taux de pauvreté, tandis que près du quart des personnes âgées aux États-Unis sont pauvres. Cette bonne performance du pays scandinave est l’effet de son généreux système de retraite, mais également du caractère plus égalitaire de son marché du travail. En 2018, la dernière année disponible pour ces indicateurs, les fréquences pour les hauts et les bas salaires étaient très basses au Danemark, se situant sous la barre des 10 % (graphique 28). Au Canada, ces taux dépassent plutôt les 20 %, indiquant une plus grande part de la population qui gagnait soit très peu, soit beaucoup d’argent sur le marché du travail. Sans surprise, ces inégalités pendant la vie active se répercutent sur la retraite également.

Le Canada fait meilleure figure au chapitre de la pauvreté des aîné·e·s, mais la situation au Québec est préoccupante. Comment expliquer une telle situation ? Et que peut-on faire pour mieux protéger les conditions de vies des personnes à la retraite ?

Proposition vers un système de retraite plus équitable

Les personnes retraitées sont-elles bien protégées contre l’inflation ?

Année après année, les revenus de retraite sont influencés par l’état de l’économie et plus précisément par le niveau de variation des prix, soit l’inflation. Entre 1992 et 2020, le taux d’inflation est demeuré aux alentours de 2 %, reléguant la question de l’indexation des rentes de retraite au second plan. D’une part, les programmes publics avaient déjà des mécanismes garantissant un revenu stable et, d’autre part, si les autres rentes ne permettaient pas aux prestataires de maintenir leur pouvoir d’achat au fur et à mesure que les années de retraite s’accumulaient, cela se faisait à un rythme relativement lent et prévisible.

Or, l’inflation est devenue un enjeu majeur à partir de la fin de 2021. Après des années d’une relative stabilité, on a vu le coût de la vie augmenter à un niveau inédit depuis 30 ans. Pour les personnes qui ont des revenus fixes, la hausse a été particulièrement brutale : à la retraite ou avec l’aide sociale, on ne peut pas faire des heures supplémentaires pour compenser l’explosion du coût du panier d’épicerie. Ces prestations sont déterminées par un contrat préalable, soit à travers des programmes publics, une entente avec son ancien employeur ou avec des institutions financières. Leurs indexations, quand elles sont prévues, se font toujours en mode rattrapage et ne permettent pas des ajustements en temps réel.

En effet, afin de réduire l’effet négatif de l’inflation sur les revenus, que ce soit ceux de la population générale ou salariée, il convient d’indexer les revenus en fonction d’un indicateur. Quand il est question du coût de la vie, l’indice des prix à la consommation (IPC), qui représente le coût d’un panier de consommation composé de différents types de biens et de services, est souvent l’indicateur de référence. Dans la dernière année, l’inflation était surtout entraînée par les prix en alimentation et en énergie, particulièrement celui du pétrole.

L’indexation peut avoir d’autres objectifs que de suivre l’évolution du coût de la vie. Dans certains cas, l’objectif peut être de garder un équilibre entre le pouvoir d’achat des différentes catégories de la population, notamment entre les salarié·e·s et les retraité·e·s. En effet, les travailleurs et travailleuses reçoivent périodiquement des hausses de salaire qui sont calculées elles-mêmes en fonction de plusieurs paramètres (hausse du coût de la vie, rattrapage salarial, performance économique, etc.). Il se peut que les salaires augmentent à un rythme différent de l’inflation. En indexant les rentes de retraite à cet indicateur, on tente de garder une distance équivalente entre les deux catégories pour s’assurer que les retraité·e·s profitent de la croissance économique. En d’autres mots, l’objectif est que les retraité·e·s ne s’appauvrissent pas par rapport aux travailleurs et travailleuses.

Au Québec, les prestations du RRQ sont indexées en fonction du taux d’augmentation de l’indice des rentes (TAIR), basé sur la moyenne des variations de l’IPC sur 12 mois70.

Les prestations provenant des régimes publics universels (PSV et SRG) sont quant à elles indexées chaque trimestre, garantissant ainsi un revenu ajusté rapidement au coût de la vie.

Les régimes de retraite d’employeur peuvent également prendre en considération la question de l’inflation, mais cela reste rare. Il s’agit d’un concept qui s’applique particulièrement dans le cas des RPD et des RPC. Ces derniers incluent généralement un mécanisme pour ajuster les prestations en fonction de l’inflation, à condition d’atteindre certaines cibles, alors que l’ajustement est automatique, quand il est prévu, pour les RPD. Parmi les régimes qui comprennent au moins une part de RPD, seulement 35,7 % comprennent un mécanisme d’ajustement (tableau 9). Quant aux RCD, ils ne prévoient aucune protection contre l’inflation puisqu’ils sont conçus pour simplement accumuler de l’argent en vue de s’acheter une rente. Le niveau des prestations n’est pas acquis avant la sortie du régime.

Le régime de retraite des fonctionnaires fédéraux est l’un des seuls qui sont considérés comme « pleinement indexés » : chaque année, les prestations sont indexées selon la moyenne de l’augmentation de l’IPC des deux dernières années71, soit un calcul qui ressemble à celui pour l’indice des rentes du RRQ. Il existe 14 régimes dans le secteur privé qui indexent pleinement les prestations, mais ils ne couvrent que 149 personnes. Quant aux fonctionnaires du Québec, ils ont perdu cette pleine indexation en 1982. Leurs prestations sont depuis indexées selon leur année d’acquisition. Si une personne a cotisé pour sa retraite avant 1982, les prestations correspondant à ces cotisations continuent d’être ajustées selon le taux calculé par le RRQ. Entre 1982 et 2000, on retranche 3 % du TAIR, et aucune indexation n’est prévue si le résultat est négatif. Pour les années suivantes, l’indexation est le taux le plus avantageux entre la moitié du TAIR ou le TAIR auquel on soustrait 3 %.

L’OCDE s’est penchée récemment sur les différents mécanismes mis en place par ses pays membres pour protéger les revenus de retraite des aîné·e·s. Elle sépare les programmes en trois catégories : la protection de base, les programmes minimaux et le filet social. Au Québec, la protection de base serait assimilable à la PSV. Il s’agit de programmes qui ne sont pas liés au statut d’emploi de la personne pendant sa vie active et qui offrent un revenu de base. Les prestations sont généralement liées au lieu de résidence, ou alors au nombre d’années de cotisation, sans égard au niveau de cotisation ou au niveau de revenu. Les programmes minimaux représentent les prestations plancher qu’une personne peut obtenir dans les autres types de régimes de retraite publics. Pour le Québec, ce serait l’équivalent des prestations de RRQ pour une carrière au salaire minimum. Finalement, il y a les pensions de type filet social, qui viennent soutenir le revenu des plus pauvres. Le SRG entrerait dans cette catégorie. Voyons maintenant, au tableau 10, les différents principes qui guident l’indexation pour ces trois catégories à travers les pays de l’OCDE.

Dans huit pays de l’OCDE, l’indexation est une combinaison de plusieurs facteurs. Par exemple, l’Estonie indexe ses programmes publics de retraite à 80 % sur les salaires et à 20 % sur les prix. Quatre pays ont choisi pour au moins l’une des trois catégories de programmes d’utiliser une formule qui détermine l’indicateur en fonction de la situation économique. Le Royaume-Uni est de ceux-là, avec son mécanisme de « triple lock » qui augmente les prestations chaque année selon le plus haut de la hausse des prix, selon l’augmentation des salaires ou de 2,5 %. Introduite en 2010 par un gouvernement de coalition, cette façon de faire assure que les prestataires à la retraite ne voient pas leurs revenus provenant de sources publiques perdre de la valeur, ni de manière absolue à cause de l’augmentation du coût de la vie ni de manière relative par rapport au reste de la société. Le mécanisme a été suspendu temporairement durant la pandémie afin d’éviter qu’une année exceptionnelle sur le plan des salaires ne crée une distorsion sur les pensions à long terme. Il a toutefois été réactivé dès 2023.

Triple lock à la québécoise

De quoi auraient l’air les prestations publiques si le Québec et le Canada avaient fait le choix du triple lock comme le Royaume-Uni72 ? Le TAIR permet l’indexation annuelle des rentes, mais est-ce suffisant pour améliorer la condition financière des aîné·e·s ?

Nous illustrons les trois taux possibles du triple lock au graphique 29, sur la même période que la mise en application de la mesure britannique. Le premier élément à regarder est le taux d’augmentation réel. L’inflation ayant été plutôt basse avant la pandémie, le TAIR n’a mené qu’à de très faibles augmentations des prestations dans les 10 dernières années. La rémunération est également restée stable au début de la période, mais on remarque une hausse plus élevée que le taux plancher de 2,5 % à partir de 2017. Comme au Royaume-Uni, l’année 2020 est une année exceptionnelle sur le plan des salaires.

Appliquons maintenant le mécanisme du triple lock sur les prestations du RRQ. Nous utiliserons pour 2020 la moyenne de la hausse de rémunération des trois années précédentes. L’écart, illustré au graphique 30, est d’environ 15 %. En 2011, la rente moyenne était de 453 $. Indexée selon les calculs du RRQ, cette prestation a atteint 534 $ en 2021, mais aurait été de 600 $ grâce à un modèle de triple lock. Cela représente une différence de 66 $ par mois, ou de 792 $ sur l’année, soit plus de la moitié des sommes versées exceptionnellement par la Coalition avenir Québec en 2022 en raison de l’augmentation du coût de la vie73.

Si on utilise le même calcul à partir de la rente maximale en 2011, soit 987 $74, la prestation serait de 1306 $ en 2021, soit à la hauteur de ce que les personnes nouvellement retraitées pouvaient obtenir la même année. Cela éliminerait donc la discrimination entre les prestataires quant au niveau de revenus disponibles. On remarquera en effet qu’une personne qui a amorcé sa retraite en 2011 au maximum de la rente obtient en 2021 une prestation mensuelle de 1163 $, soit 143 $ de moins que la prestation maximale de la même année. Ainsi, les prestataires s’appauvrissent en comparaison avec les nouveaux et nouvelles retraité·e·s, un écart qui se creuse année après année. Selon nos calculs, pour l’année 2020, cela aurait augmenté les sommes versées par le RRQ d’environ 1,5 milliard de dollars, soit une hausse de 12 %, ce qui nous semble plus raisonnable que le coût pour un régime prenant en considération les 5 meilleures années.

Bien que les variations de la PSV ne soient pas présentées dans le graphique, elles suivent plus ou moins la même progression que le RRQ. En utilisant le triple lock, l’indexation permettrait une amélioration de près de 1000 $ pour l’année 2020 et, en raison de la forte inflation, de 360 $ pour 2021. Si on exclut la dernière année, les sommes qui seraient versées en plus croissent chaque année, tendant à démontrer qu’une telle méthode mènerait à un enrichissement des personnes âgées en comparaison avec le modèle actuel. Toutefois, le triple lock ne permet aucune amélioration du SRG, les prestations étant augmentées à de forts niveaux périodiquement. En effet, des hausses de plus de 10 % ont été accordées en 2012, 2017 et 2021. Nous pouvons donc exclure l’application de cette méthode pour ce programme.

En somme, le triple lock permettrait d’améliorer légèrement les revenus des retraité·e·s à travers la PSV et d’assurer qu’ils et elles ne s’appauvrissent pas au fil du temps, du moins en ce qui concerne leurs prestations du RRQ. Si cela est en soi une bonne nouvelle, il ne nous semble pas que cette option soit suffisante. En effet, d’une part, comme nous l’avons vu avec l’option précédente, le taux de remplacement de 25 % du RRQ est une fiction et ne représente absolument pas la réalité des revenus de fin de carrière. D’autre part, les revenus publics remplacent une fraction de ce qui est nécessaire pour avoir une vie digne à la retraite. Le reste doit être compensé par des RPA et des économies personnelles. Or, rien n’oblige les employeurs à offrir un régime avantageux à leurs employé·e·s. Tout au plus, ils doivent rendre disponible un RVER, sans même avoir à y cotiser. Les RCD et les REER collectifs ne permettent pas non plus d’atteindre les objectifs énoncés. Les rendements sont incertains et le risque de longévité est entièrement assumé par les individus. Quant aux RPD, le nombre de leurs adhérent·e·s est en déclin, l’indexation n’est pas garantie et les employeurs menacent régulièrement de changer de type de régime pour réduire leurs obligations. Cela crée un déséquilibre important au sein de la main-d’œuvre entre les personnes qui ont un milieu de travail qui les soutient vers la retraite et les autres. Mieux protéger les rentes publiques est nécessaire, mais insuffisant pour vraiment aider la population âgée à avoir des revenus décents à la retraite.

Modalité pour un système plus universel

Nous l’avons vu, l’édifice des revenus à la retraite est une construction précaire qui ne permet pas à l’ensemble de la population âgée de vivre dignement. D’un côté, les personnes les plus démunies, n’ayant peu ou pas travaillé, doivent se contenter de prestations universelles qui les placent tout juste au-dessus de la MPC. Cette position est bien meilleure que celle des bénéficiaires de l’aide sociale, mais demeure une situation de pauvreté, bien en deçà de l’indicateur international de MFR-50. Pour les travailleurs et travailleuses qui ont cotisé pendant toute leur carrière au RRQ, la pauvreté est également une réalité trop fréquente. Les prestations qui sont censées remplacer 25 % du revenu sont insuffisantes : sans RPA ou épargne personnelle (REER, CELI, résidence, etc.), il est pratiquement impossible d’atteindre un revenu viable. Le gouvernement du Québec oblige maintenant tous les milieux de travail de plus de cinq employé·e·s à offrir minimalement un RVER, mais sans obliger les employeurs à participer à ce véhicule de retraite de mauvaise qualité. Du côté des REER, les cotisations se concentrent dans les comptes des personnes avec de hauts revenus.

Il ne s’agit pas ici d’un manque de moyens, mais d’un échec dans la redistribution. L’IRIS a développé un nouveau concept pour parler de pauvreté en ce sens : le déficit imposé aux plus pauvres. Dans une note publiée en 2016, le manque à gagner pour les plus démunis a été mis en opposition avec la croissance de richesse des personnes les plus nanties. L’excédent, la richesse produite, était alors beaucoup plus important que le déficit que l’on imposait à celles et ceux qui manquaient de moyens pour répondre à leurs besoins75. Un constat similaire peut être fait quant aux revenus de retraite. Si l’on prend l’ensemble des sommes qui sont versées en raison de l’âge, que ce soit les prestations publiques (PSV et SRG) ou les rentes privées (RRQ, RPA, REER), et qu’on choisit de les distribuer de façon égale entre toutes les personnes de 65 ans et plus au Québec, cela nous permet de créer quelque chose comme un indice de pension global, soit l’ensemble de l’argent disponible dans une société pour la retraite. Au Québec en 2020, on parviendrait à garantir un revenu de 29 365 $ à chacun·e76, un montant situé au centre de la zone du revenu viable. Cela démontre bien qu’il est possible de faire autrement, soit en utilisant les mêmes ressources, soit en les améliorant.

Prestations sur les meilleures années

Une façon d’améliorer la générosité du régime public de retraite au Québec serait d’en modifier les paramètres. Selon la méthode de calcul actuelle des prestations du RRQ, les travailleurs et travailleuses obtiendront une rente calculée sur la base de leurs cotisations durant l’ensemble de leur vie active. Ainsi, pour obtenir à la retraite le montant maximal de prestations, il faut pratiquement avoir cotisé pour un salaire atteignant le maximum des gains admissibles à partir de la première année de travail jusqu’à la toute dernière. Ce cas de figure est rare. Comme nous l’avons présenté plus haut, seulement 2,8 % des nouveaux prestataires de 2020 ont obtenu le maximum. Il n’est donc guère surprenant que, sur un maximum de prestations perceptibles de 14 128 $ par année en 2018, la moyenne s’élevait à seulement 6 420 $, soit à peine 45,4 % du maximum. En outre, seuls 33 % des prestataires recevaient une rente égale ou supérieure à 700 $ (8 400 $ par année). Ces calculs sont basés sur un taux de remplacement de 25 % sur l’ensemble des revenus de travail.

En guise de comparaison, les RPA à prestations déterminées calculent leurs rentes de diverses manières. Si certains basent le calcul sur les revenus gagnés durant l’ensemble de la carrière, la plupart choisissent plutôt de déterminer le montant des prestations en fonction des meilleures années (tableau 11). À cela s’ajoutent de nombreux participant·e·s dont les rentes seront calculées en fonction de leur dernier salaire gagné. Le nombre de régimes de ce type est moins important, mais il s’agit de régimes qui couvrent une part importante de la population.

Si on modifiait la formule du RRQ et qu’on versait plutôt des prestations en fonction des cinq meilleures années travaillées plutôt que l’ensemble des années travaillées durant une carrière, on ferait évidemment augmenter les prestations reçues à la retraite. Quel serait le coût d’une mesure comme celle-ci si on l’appliquait aux prestataires actuel·le·s ?

En utilisant une série d’hypothèses prudentes pour estimer le nombre de personnes qui pourraient percevoir un revenu au-delà du MGA pendant au moins cinq ans et ainsi bénéficier de la rente maximale une fois parvenues à la retraite, et en déduisant les augmentations que pourraient obtenir l’ensemble des autres prestataires même si ces personnes n’obtenaient pas la rente maximale, les prestataires du RRQ verraient leurs rentes doubler en moyenne. Cela s’accompagnerait cependant d’une facture salée pour le régime, soit d’environ 10 milliards de dollars.

Cette somme est très élevée et demanderait un changement radical dans le financement du RRQ. Il faudrait augmenter substantiellement les cotisations des employé·e·s et des employeurs. Il ne nous semble pas réaliste de faire une telle proposition en l’absence de consensus social. Qui plus est, cet ajustement au RRQ concentrerait l’ajout de ressources chez les prestataires qui obtiennent déjà les rentes les plus élevées, ce qui en ferait une politique régressive.

Néanmoins, l’exercice permet de faire certains constats utiles à la réflexion sur les moyens d’améliorer le système de retraite québécois. La promesse du régime actuel est de remplacer 25 % (33 % à terme) du revenu de travail, mais sur l’ensemble de la vie active. Or, les cibles de remplacement pour la retraite sont généralement basées sur le revenu précédant le départ du marché du travail, ce qui s’apparente davantage au concept des cinq meilleures années en carrière. La différence entre l’ensemble de la carrière et le salaire de fin de carrière est très grande pour la majorité des travailleurs et travailleuses. La méthode de calcul du RRQ ne permet donc qu’un remplacement partiel, loin de la réalité économique des personnes qui partent à la retraite. Bien qu’il prétende remplacer le quart des revenus grâce à ces prestations, nos calculs nous amènent à estimer que cette proportion est plus près de 10 %. On peut y voir un constat d’échec. Et l’écart à combler pour les retraité·e·s n’en est que plus profond.

Scénario des RVER publics

L’édifice des revenus à la retraite au Québec est chambranlant. Les fondations semblent solides, mais les autres étages ne sont pas toujours viables. En fait, il y a une grande variabilité de revenus atteignables chez les personnes âgées. Les taux de couverture et de remplacement du revenu pour les Québécois·es à la retraite sont inadéquats. Les cas de figure varient beaucoup d’une catégorie à l’autre de la population : les personnes qui ont été tenues à l’écart du marché du travail pendant l’équivalent de leur vie active gagnent souvent plus à la retraite, les programmes de soutien au revenu à la retraite comme le SRG étant plus généreux que l’aide sociale (sans non plus parvenir à sortir de la pauvreté), alors que les plus riches possèdent plusieurs véhicules de retraite bien financés qui leur garantissent un revenu intéressant.

C’est donc au milieu que le bât blesse particulièrement : les travailleurs et travailleuses pour qui les régimes publics (la PSV, le SRG et le RRQ) ne permettent pas d’atteindre un revenu décent à la retraite et qui ne peuvent pas compter sur les régimes privés ou sur leur épargne personnelle. La réforme du RRQ permettant de bonifier les rentes à 33 % des revenus gagnés sur l’ensemble de la carrière (plutôt que 25 %) devrait aider, à terme, cette tranche de la population, mais cette solution est partielle car elle ne parvient pas à assurer l’atteinte d’un revenu viable pour ceux et celles qui quittent le marché du travail sans avoir accès à un régime d’employeur de qualité.

Comment pouvons-nous améliorer les revenus à la retraite des personnes qui ne disposent pas actuellement de régimes complémentaires de qualité ? Les RVER étaient la solution mise de l’avant par le gouvernement. Mais, comme nous l’avons vu, ces régimes ont raté la cible puisque les cotisations des employeurs sont optionnelles (et rares), l’adhésion volontaire et les comptes, individualisés. Cette combinaison fait porter le risque des rendements, de la longévité et de l’inflation entièrement par les cotisant·e·s. Avant de proposer une nouvelle approche, tâchons d’abord de mieux circonscrire la population à atteindre.

Comme nous l’avons vu plus haut, les REER sont utilisés principalement par les personnes avec de plus hauts revenus. Selon les données fiscales de Revenu Québec, les revenus du quintile le plus riche commençaient à 69 156 $ en 2019. Nous postulons donc que les personnes qui ont besoin d’un soutien accru au revenu à la retraite sont celles qui gagnent entre 25 000 $ et 75 000 $ par année. Selon les chiffres de l’Enquête canadienne sur les revenus, des 3 millions de travailleurs et travailleuses du Québec gagnant entre 25 000 et 75 000 $, 60 % ne cotisent pas dans un RPA. En dessous de ce revenu, les aides publiques permettent le remplacement complet du revenu et donc un maintien du niveau de vie. Le revenu à la retraite pour ces personnes demeure sous le revenu viable, mais permet tout de même de dépasser 70 % du revenu avant 65 ans. Un soutien accru serait nécessaire pour aider cette population à avoir un revenu décent, mais nous croyons que cela peut se faire à l’extérieur d’un régime lié au travail. Au-delà de 75 000 $, il est fort probable que la personne bénéficie d’un RPA, d’un REER ou des deux.

Comment améliorer les perspectives de revenus des personnes n’ayant pas accès à des régimes d’employeur de qualité ? Nous avons vu plus haut l’exemple du Danemark. Dans ce pays d’un peu moins de 6 millions de personnes, des régimes collectifs obligatoires par secteur industriel ont été mis sur pied. Les employeurs ont l’obligation d’y cotiser et les employés conservent leurs avantages lorsqu’ils changent de milieu de travail. Les économies personnelles servent alors à bonifier un revenu qui permet déjà d’atteindre un seuil viable. Cela permet de bénéficier de la mutualisation des risques de longévité et d’un portfolio d’investissements diversifiés.

Ainsi, le gouvernement québécois pourrait revoir le fonctionnement des RVER pour augmenter leur efficacité en s’inspirant du modèle danois. Une telle réforme devrait :

  1. améliorer la qualité du régime en rendant les prestations déterminées et en obligeant les employeurs à cotiser ;
  2. transférer la gestion des fonds à la Caisse de dépôt et placement du Québec ;
  3. favoriser une portabilité des comptes en cas de changement d’emploi.

Ce changement de modèle permettrait de remplacer les RVER par un régime général d’épargne-retraite (RGER). Comme pour les RVER, ce programme serait optionnel et les employeurs qui offrent déjà un régime de retraite de qualité (à prestations déterminées ou à prestations cibles) n’auraient pas à y participer. En revanche, pour les employeurs qui n’offrent pas de régime de qualité, l’adhésion serait obligatoire. Ce nouveau régime ne serait pas limité par le MGA, ce qui permettrait aux travailleurs et travailleuses ayant un salaire plus élevé d’épargner à la mesure de leurs revenus.

Le modèle de financement de ce RGER serait basé sur le Régime de retraite par financement salarial développé par l’économiste Michel Lizée en collaboration avec des groupes communautaires et de femmes. Le modèle du Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes (RRGCF)77 est également celui qui a été choisi par un ensemble de milieux de travail de la FTQ pour lesquels les employeurs n’avaient pas de régimes établis78. Ce type de régime est parmi les mieux financés et les plus stables au Québec.

Dans ce modèle, les cotisations sont fixes pour l’employeur, les prestations sont déterminées et garanties, et l’indexation est basée sur le financement de la réserve. Les prestations sont « achetées » tout au long de l’emploi dans les groupes couverts et la pleine indexation s’applique aux prestations de chaque année à condition que la performance du fonds le permette. En d’autres mots, pour chaque tranche de 100 $ cotisée (par l’employeur et l’employé·e), une prestation de 10 $ est acquise en vue de la retraite, qui sera indexée une fois que les versements débutent. Le risque est donc reporté sur une petite partie du revenu à la retraite, soit l’indexation, et des mécanismes sont mis en place pour le réduire le plus possible. À titre d’exemple, la pleine indexation a été accordée chaque année depuis la création du RRGCF. Tout comme les RVER, les cotisations minimales au RGER seraient fixées par la loi, mais les employeurs et les employé·e·s auraient la possibilité de les rehausser. Ce modèle permet de couvrir des groupes diversifiés en rassemblant plusieurs entreprises et organismes dans un même régime.

Comme la proposition se fait à l’échelle de l’ensemble du Québec, il nous semble évident que le fonds devrait être géré par un organisme public centralisé tel que la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui gère déjà le RRQ et plusieurs régimes de retraite. En 2021, le rendement des investissements de la Caisse se situait à 13,5 %, avec un rendement annualisé de 9,6 % sur 10 ans79.

En mutualisant les groupes couverts au sein d’une même institution et d’un même régime, il devient facile de conserver ses droits acquis même en changeant d’employeur. Un avantage additionnel serait de pouvoir racheter des années de service pour bonifier sa rente, permettant aux personnes qui adhèrent tardivement au régime d’améliorer leur taux de remplacement, et aux personnes qui ont accumulé des économies d’investir dans leur retraite. Il pourrait être avantageux, dans certaines circonstances, de préférer ce genre d’investissement à un REER80. En effet, grâce à son modèle basé sur l’acquisition d’une rente, le régime permet une prévisibilité et une stabilité dans les revenus, tout en offrant des investissements performants. Toutefois, certaines personnes pourraient préférer avoir la souplesse d’un compte REER pour optimiser fiscalement leurs revenus, notamment en raison de la réduction progressive du SRG en fonction des revenus à la retraite.

Finalement, comme la prestation est acquise en fonction des cotisations versées et que nous proposons un régime collectif inter-industries, le régime permettrait une certaine portabilité tout en garantissant un revenu de base à la retraite.

Un RGER collectif, public et à prestations déterminées indexables permettrait d’améliorer grandement le potentiel de couverture des besoins à la retraite pour les travailleurs et travailleuses. Le graphique 31 permet de voir qu’une telle réforme aurait un impact important sur les revenus des travailleurs et travailleuses (avant transferts et impôts). En prenant en considération la réforme du RRQ qui augmentera progressivement le taux de remplacement à 33 %, le nouveau système permettrait de garantir à celles et ceux qui ont un faible revenu d’emploi de maintenir leurs revenus à la retraite et à ceux et celles qui ont un revenu moyen d’atteindre un taux de remplacement autour de 60 %, seulement avec les programmes publics. À cela pourraient s’ajouter leurs économies personnelles, ainsi que leurs investissements dans des REER ou dans des propriétés privées.

Pour avoir un portrait complet de la situation financière des retraité·e·s à la suite de l’instauration d’un tel régime, il faudrait ajouter les autres types de transferts fiscaux (crédits d’impôt pour solidarité, pour la TPS, pour le maintien à domicile, etc.81) ainsi que les dépenses liées à l’imposition du revenu. Ceux-ci variant selon les conditions de vie des personnes, nous ne les avons pas intégrés au graphique, mais ils devraient permettre d’améliorer de quelques points de pourcentage les revenus des plus pauvres.

Si cette situation à la retraite est bien meilleure que celle dans laquelle la plupart des travailleurs et travailleuses précaires se trouvent en ce moment, il ne faut pas négliger l’autre partie de l’équation, soit les revenus pendant la vie active. En effet, le taux de remplacement présenté ici pour la personne travaillant 30 ans à un salaire annuel de 25 000 $ atteint presque 100 %, mais ne permet tout de même pas d’atteindre le revenu viable qui se situait en 2022 à environ 29 000 $. Comme nous l’avons vu plus haut, à l’heure actuelle, il faut avoir cotisé au MGA durant toute sa carrière pour espérer un tel revenu à la retraite. Avec le nouveau modèle proposé, il faudrait cotiser sur un salaire équivalent à au moins 39 889 $ pendant toute sa carrière pour atteindre ce niveau.

Il est clair qu’une proportion plus grande de gens touche un tel revenu, mais il n’en demeure pas moins qu’il ne représente pas l’ensemble de la main-d’œuvre qui travaille à temps plein. En effet, une personne qui travaille 35 heures par semaine au salaire minimum ne gagne que 27 755 $, ce qui ne permet un revenu viable ni pendant la vie active ni à la retraite. Pour une personne qui serait dans cette situation, et avec la structure des retraites actuelle, il faudrait hausser la composante universelle d’environ 6 000 $ ou rehausser les revenus pendant la vie active. Une combinaison des deux serait souhaitable, soit améliorer les conditions de vie des personnes actuellement à l’emploi, tout en bonifiant les revenus des personnes à la retraite. Non seulement cela permettrait d’alléger le poids des dépenses quotidiennes dès maintenant, mais cela rendrait également l’épargne plus facile et offrirait aux personnes à faible revenu de meilleures chances d’avoir une vie décente plus tard.

Conclusion

Le système de retraite au Québec (et au Canada) est bien inégalitaire. Si l’on reprend l’image de la maison pour présenter les différentes sources de revenus, on peut dire que la fondation demeure relativement solide, mais que le poids de la maison devient de plus en plus lourd à porter. En effet, pour qu’une personne de plus de 65 ans puisse aspirer à une vie hors de la pauvreté, il lui faut bien plus que les programmes de base. Avoir accès à un régime de retraite d’employeur de qualité tel qu’un RPD ou alors gagner suffisamment d’argent pour maximiser ses cotisations aux REER est un atout important, mais qui n’est pas accessible à l’ensemble des retraité·e·s. Malheureusement, les régimes de mauvaise qualité sont encore trop nombreux, et les RVER entrent dans cette catégorie. Le gouvernement, en choisissant cette option pour améliorer le taux de couverture des régimes d’employeur, a pris la voie qui pose le moins de contraintes pour les employeurs plutôt que de donner accès aux employé·e·s à des régimes de retraite de qualité. Cette façon de faire est en ligne droite avec l’histoire du soutien au revenu au Québec : la mobilisation syndicale en vue d’une meilleure protection des revenus à la retraite s’est traduite par des programmes minimaux qui visent à calmer la grogne tout en limitant l’implication des employeurs.

Ailleurs, d’autres choix ont été faits et l’exemple du Danemark est éloquent. Les régimes de retraite d’employeur quasi obligatoires qui regroupent les milieux de travail d’une même industrie permettent d’assurer un niveau d’épargne adéquat pour les retraité·e·s. Les cotisations sont faites par les deux parties (employé·e et employeur), le taux de remplacement est élevé et les niveaux de pauvreté à la retraite sont très faibles. Cela est possible non seulement en raison des programmes de soutien au revenu du pays, mais également parce que la structure des revenus au travail est beaucoup plus égalitaire, avec des écarts moins grands entre les salariés. Cette égalité pendant la vie active se transfère également pendant la retraite. Le modèle est inspirant pour l’établissement de politiques publiques des deux côtés : pendant la vie active ainsi qu’après.

C’est en prenant ces éléments en considérations que nous pensons qu’un régime général d’épargne-retraite pourrait être une part de la solution au faible revenu accessible aux travailleurs et travailleuses à la retraite. Grâce à des cotisations faites à la fois par les employeurs et les employé·e·s et à un fonctionnement basé sur l’achat de rente, on assure aux personnes concernées un revenu à la retraite stable avec une indexation presque garantie. La fédération de tous ces comptes au sein d’un même régime permet de réduire les coûts de gestion tout en assurant la mutualisation des risques de longévité. Cela offrirait un meilleur taux de couverture pour les travailleurs et travailleuses et un meilleur taux de remplacement. Les cotisations des employeurs leur permettraient de prendre leurs responsabilités envers les personnes qui quittent la vie active à la fin de leur carrière, mais le côté général du régime limiterait leur engagement puisque le programme serait le même pour tous les milieux de travail participant. Bien entendu, ils seraient encore libres d’offrir leur propre régime, à condition qu’il soit contributif également et réponde à des critères à établir collectivement.

Transformer les RVER en RGER serait un pas dans la bonne direction, mais ce ne serait pas suffisant pour assurer une vie hors de la pauvreté à toutes les personnes âgées de 65 ans et plus. Pour arriver à un tel objectif, il est nécessaire de travailler également à améliorer les conditions de travail pendant la vie active. Une personne qui passe sa vie dans la pauvreté malgré des revenus d’emploi ne verra pas ses conditions d’existence changer radicalement à la retraite. Il faut notamment s’assurer que le salaire minimum parvienne à offrir des revenus décents pour une personne travaillant à temps plein. Ce n’est que lorsque nous considérerons les écarts de richesse entre les étapes de la vie, mais également entre les personnes qui vivent ces étapes, que nous pourrons réellement entrevoir une société sans pauvreté, pour toutes les saisons de la vie.

Source: Eve-Lyne Couturier, Guillaume Hébert, Pierre Tircher, Iris Recherche, 6 avril 2023

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